littérature et photographie

Catégorie : Interviews

D’où vous est venue l’idée du Vaisseau ardent? (Leatouchbook)

Interview de Léa, de Léa Touch Book, le 10 août 2014

– D’où vous est venue l’idée du Vaisseau ardent ?

En revenant de voir Hooks, de Stephen Spielberg, séduit par l’idée du Pays imaginaire visité par des adultes, j’ai inventé une histoire pour mon fils qui avait huit ans. Je souhaitais moins mettre en scène un monde irréel que pousser le plus loin possible l’idée d’une communauté d’enfants vivant à l’écart des adultes. Ils jouent et cela leur prend tout leur temps. Bien sûr, il y avait un pirate qui veillait sur eux dans un vaisseau fabuleux, lequel suscitait la convoitise d’explorateurs qui perturbaient cette belle utopie… De ce conte, j’ai tiré un court récit, puis un petit roman que j’ai proposé à des éditeurs jeunesse, sans succès, mais avec de réels encouragements.

– Considérez-vous ce roman comme l’œuvre de votre vie ?

Plus maintenant, mais en l’écrivant, oui. C’était mon premier roman. Je me disais que s’il devait n’y en avoir qu’un, ce serait celui-là (ce qui est toujours le cas). C’est ce qui m’a donné l’audace de mêler autant d’histoires et de formes d’écriture. Je ne suis pas sûr de retrouver le même élan, mais ce n’est pas non plus nécessaire. J’ai d’autres livres en tête, ils me stimulent chacun à leur manière.

– Avez-vous d’autres projets littéraires ?

Oui. De quoi écrire pendant plusieurs vies. Le choix est difficile. D’autant que j’écris comme je peindrais des glacis monumentaux, par d’innombrables couches minces et en laissant longtemps reposer entre deux… Je réécris sans cesse, pas seulement pour le style, mais pour apporter de la profondeur, passer en actions ce que je conçois d’abord en longues descriptions…

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Jean-Claude Marguerite publie « Le vaisseau ardent » (Sorbonne Nouvelle)

Interview de Brigitte Chotel, Université Paris 3, Sorbonne Nouvelle.

Jean-Claude Marguerite enseigne la PAO aux étudiants du Master Lettres Appliquées aux Techniques Editoriales et à la rédaction professionnelle. Il vient de publier son premier roman de 1568 pages. A force de raconter des histoires à son fils, il est devenu écrivain….

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  • Jean-Claude Marguerite, pouvez-vous vous présenter ?

En dehors de mon intervention dans le module informatique du Master 2 LATERP (Lettres appliquées aux techniques éditoriales et à la rédaction professionnelle) où j’enseigne les outils de la PAO à de futurs éditeurs, je travaille dans l’édition, en indépendant. Actuellement, je crée des couvertures, je coordonne une collection de poche et je suis éditeur de guides touristiques, cela pour différents éditeurs. Dans le passé, j’ai été journaliste, photoreporter (je n’ai jamais vraiment cessé de photographier), et j’ai dirigé une agence de communication en province…

Mais aussi loin que remontent mes souvenirs, j’écris. À dix ans, j’inventais des pièces de marionnettes (que je dactylographiais, j’enregistrais ensuite les dialogues avec ma famille…) pour les jouer à des enfants de mon village. À seize, j’étais correspondant de presse. À vingt ans, je publiais un essai d’écologie, Sauver le bocage, et entrais à Ouest-France.

  • Vous venez de publier Le Vaisseau ardent aux éditions Folio SF, s’agit-il de votre premier roman ? 

Oui, Le Vaisseau ardent, malgré ses 1568 pages en Folio, est un premier roman ! Il est d’abord paru chez Denoël en 2010, dans la collection Grand public. Pascal Godbillon, qui dirige Folio SF, a relevé le pari de le sortir en un volume sans sacrifier ni le papier ni le confort de lecture.

 

  • Pouvez-vous nous dire quelques mots de sa genèse ? 

Ce roman est né d’un conte que j’ai inventé pour mon fils, quand il avait huit ans. C’était l’histoire d’un navire-pirate qui brûlait sans se consumer au milieu des glaces du Groenland, et d’enfants qui jouaient tant et tant qu’ils n’avaient pas le temps de vieillir… Peu à peu, j’ai développé cette idée en livre jeunesse, mais aucun éditeur ne l’a acceptée, malgré quelques vrais encouragements. Et puis, j’ai réalisé que mon erreur était d’écrire pour les enfants, alors que j’avais envie d’écrire sur les enfants. Du coup, mon imagination s’est débridée et je n’ai plus mis aucune limite au style. Par exemple, j’ai même rédigé un prologue sous la forme d’une pièce de théâtre.

Malgré mes contacts dans l’édition, j’ai adressé le manuscrit par la poste ; Gilles Dumay, chez Denoël, m’a rapidement appelé.

  • Êtes-vous passionnés par le genre SF ?

Mon premier livre de SF, c’était Micromégas, une lecture du programme de seconde. J’ai apprécié le potentiel de la démarche de Voltaire : s’abstraire des contraintes du réalisme pour illustrer un propos. Mais l’étiquette importe peu à mes yeux : j’ai écrit l’histoire que j’avais envie de raconter sans me soucier du genre.

D’ailleurs, Le Vaisseau ardent a tout autant été présenté comme un roman d’aventure que comme un conte initiatique. La critique qui m’a le plus touché en parlait comme « un grand vent marin qui nous pousse à agir, nous améliorer. » J’étais ravi : le livre ne se réduisait pas à un label… Dès sa sortie, Le Vaisseau ardent a été distingué par Le Point qui lui a décerné son coup de cœur de l’année.

 

  • Mais Le Vaisseau ardent comporte bien une dimension fantastique ?

Le personnage central, Anton, un jeune voleur qui deviendra un célèbre explorateur, consacre sa vie à la recherche d’un trésor, celui du Pirate Sans Nom. Or, il agit exclusivement sur la foi d’une intuition – ce pirate ne peut qu’avoir existé, bien qu’aucune preuve ne l’atteste. Au fil des pages, sa définition du trésor ne cesse d’évoluer, mais Anton reste fidèle à sa sensibilité de « l’autre côté des choses », cette frontière ténue où le réel et imaginaire se tutoient. Ce qui m’a permis de remettre en cause, avec lui, l’Histoire avec un grand H et de mêler (d’emmêler) légendes inventées et mythes universels. La touche fantastique s’imposait, afin d’illustrer à quel point l’imaginaire fait partie de notre vie. Après tout, ce que nous croyons, ce qui nous anime et nous motive, n’est-ce pas une histoire que nous nous racontons ?

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Le Vaisseau ardent est né d’un conte destiné à votre fils (ActuSF)

Interview de Chloé, ActuSF

Jean-Claude Marguerite est l’auteur du Vaisseau ardent, son premier roman paru aux éditions Denoël au mois de juin 2010

ActuSF : Le Vaisseau ardent est né d’un conte destiné à votre fils. Comment vous est venue l’idée de transformer cette histoire en véritable roman pour adulte ?
Jean-Claude Marguerite : Lors d’un dîner amical, j’ai été invité à parler de ce conte, qui était devenu un roman qui avait plu sans convaincre d’éditeur. Mon interlocuteur dirigeait une revue de plaisance italienne et j’ai naturellement axé ma présentation sur la présence du voilier qui brûlait sans se consumer. Et tout en parlant, j’ai réalisé que j’étais passé à côté de quelque chose d’essentiel : ce vaisseau que je traitais comme un accessoire méritait rang de personnage.
Avant la fin du dîner, cet ami me proposait de publier un livret de 80 pages sur ce vaisseau, pour accompagner son numéro d’été. J’ai dit oui, tout en sachant que je n’avais pas encore matière à dix pages ! Je me suis aussitôt lancé dans l’enfance d’Anton Petrack. Mais le temps de rédiger un chapitre et de faire un plan, le projet tombait à l’eau, au profit d’une simple nouvelle de cinq mille signes. Le plan en faisait le double. J’ai donc écrit L’Île du Chaos noire, que j’ai fait traduire en italien… et qui n’est pas parue.
Cela faisait douze ans que je travaillais (assez épisodiquement) sur cette histoire, vous imaginez la frustration… C’est certainement elle qui m’a décidé à m’y remettre. Mais je n’aurais peut-être pas relevé le défi si je ne venais pas aussi de découvrir un plaisir profond à écrire sans les restrictions de la littérature jeunesse. Ce fut une vraie libération.

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Vivre, serait-ce avoir toujours un rêve en réserve ? (Le Nouvel observateur)

« Le Vaisseau ardent aborde nos plages. Cette saga monumentale, promise au succès, raconte la fabuleuse histoire du Pirate Sans Nom, qui hante la mémoire d’un marin d’aujourd’hui.»

« Cette épopée de près de 1300 pages est splendidement racontée : c’est « la Guerre des boutons » en hauts-de-chausses, avec pour héros un gosse malin et endurci qui s’endort chaque soir dans le froid en se remémorant, pour ne jamais l’oublier, le timbre de la voix maternelle. »

Le Nouvel Observateur, l’avis d’Anne Crignon

 

NouvelObs

C’est le pirate de l’été (Bibliobs)

Le 27 juillet 2010, par Anne Crignon, Bibliobs, depuis Le Nouvel Observateur du 22 juillet 2010.

 

« Le Vaisseau ardent » aborde nos plages. Cette saga monumentale, promise au succès, raconte la fabuleuse histoire du Pirate Sans Nom, qui hante la mémoire d’un marin d’aujourd’hui. Comme celle de Jean-Claude Marguerite, son auteur. Rencontre 

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Né à Ecouché (Orne) en 1955, Jean-Claude Marguerite a travaillé à 20 ans comme localier pour « Ouest France » à Argentan et à L’Aigle. Il est graphiste et photographe.

Un port de l’Adriatique, dans les années 1950. Deux gamins d’une dizaine d’années abordent unhomme qui boit seul chaque soir dans une chaloupe à l’abandon. En échange d’un vieux rhum frelaté, l’inconnu va leur raconter une histoire fabuleuse : la vie du Pirate Sans Nom, dont nul ne sait comment ni où il a disparu. Fasciné, l’un des deux enfants, Anton Petrack, va ancrer sa vie autour de cette légende. Il va devenir un commandant riche et célèbre après une vie passée à sillonner les mers boréales et à mener l’enquête sur ce forban mythique.

Vivre, serait-ce avoir toujours un rêve en réserve ? On retrouve Petrack vieillissant, penché sur un précieux grimoire : le journal du Pirate Sans Nom. Orphelin à 6 ans, celui-ci mène un combat parfois meurtrier pour s’imposer dans les rues malfamées d’une cité hollandaise au XVIIe siècle. En face, l’archipel Frison, point de ralliement des aventuriers des mers, lui fait de l’oeil. Un jour, peut-être… Cette épopée de près de 1300 pages est splendidement racontée : c’est « la Guerre des boutons » en hauts-de-chausses, avec pour héros un gosse malin et endurci qui s’endort chaque soir dans le froid en se remémorant, pour ne jamais l’oublier, le timbre de la voix maternelle.

A.C.

Le Nouvel Observateur. – Ce roman est en filigrane un étonnant manuel de sociologie sur les pirates. Vous balayez pas mal d’idées reçues…

Jean-Claude Marguerite. – On a souvent une approche romantique de la piraterie où le héros a la tête d’Errol Flynn – ou d’Orlando Bloom. On le voit comme un homme libre affranchi de toutes les contraintes de la vie civilisée, qui vit en dehors des normes selon sa propre éthique – un pirate au grand coeur, quoi. Mais, derrière cette façade, il y a un homme seul, en rupture avec la société, ne mangeant pas tous les jours à sa faim, menacé de mort et de torture, avec une espérance de vie très limitée. Il est condamné à l’errance, car regagner la terre, c’est le gibet assuré. Que les gens pensent spontanément le contraire m’intéressait au plus haut point. « Pirate », « trésor », « vaisseau fantôme » sont les portes d’un imaginaire puissant, où ce que l’on veut croire l’emporte sur la raison.

N. O. – Le drapeau noir avec une tête de mort est un des clichés les plus répandus…

J.-C. Marguerite. – En réalité, les drapeaux étaient très variés, de véritables rébus, le plus souvent. Ils étaient d’abord une arme psychologique. Il fallait que ceux d’en face sachent ce qu’ils allaient subir. Le dessin d’une main qui brandit un boulet avec une mèche allumée, cela signifiait que le camp adverse n’avait plus beaucoup de temps à vivre. Barbe-Noire se représentait lui-même, tenant un sablier dans une main et une lance dans l’autre ! On trouvait aussi des squelettes, des bêtes fantastiques. Si le drapeau était noir, il y aurait des survivants, s’il était rouge, il n’y en aurait pas.

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Figure de pirate en bois peint (17e siècle).

N. O. – Dans votre livre, un autre mythe s’effondre : celui du pirate plein aux as.

J.-C. Marguerite. – A quoi bon thésauriser et cacher son butin sur une île quand on risque sa vie chaque jour ? On a l’image du pirate qui vogue sur son bateau pour aller attaquer un galion bourré d’or. Mais ce bateau, il fallait l’acquérir, l’armer, rassembler un équipage. Et le galion, encore fallait-il le croiser ! Dans l’immense mer des Caraïbes, ça n’arrivait pas tous les jours. De plus, la plupart des bateaux transportaient des épices et pas toujours du métal précieux. La fortune du pirate, c’était au petit bonheur la chance.

N. O. – Le pirate est-il un héros de votre enfance ?

J.-C. Marguerite. – Pas vraiment. Je ne suis ni un passionné de longue date ni un expert d’ailleurs. De plus, contrairement au commandant Petrack, j’ai une mémoire de poisson rouge : je peux ingurgiter un certain nombre de données pour un travail précis, mais mon cerveau a ensuite tendance à tout effacer.

N. O. – Alors, quelle est l’origine de ce livre ?

J.-C. Marguerite. – En 1991, j’avais emmené mon fils de 8 ans voir « Hook » de Spielberg, la suite de « Peter Pan ». En sortant du cinéma, j’ai eu envie de confronter l’utopie enfantine au réalisme adulte. Certains d’entre nous restent assez fidèles à leurs rêves de jeunesse, d’autres assument une coupure très nette. Le soir même, j’ai inventé pour mon fils cette histoire, située au Groenland, avec une énigme : un vaisseau qui brûle sans se consumer. J’ai commencé à prendre des notes et j’ai écrit un conte d’une soixantaine de pages.

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« Hook ou la revanche du Capitaine Crochet », de Steven Spielberg (1992).

L’année suivante, j’ai essayé d’en faire un livre pour enfants. Pendant une douzaine d’années, j’ai proposé mon manuscrit, sans succès, mais avec quelques encouragements d’éditeurs qui trouvaient l’idée belle. Un jour, j’ai pris conscience que je voulais écrire non pour les enfants, mais sur les enfants. J’ai tout remis à plat. Et j’ai fait le livre dont j’avais envie. Si j’avais échoué, c’était peut-être aussi parce que je me faisais une trop belle image de la littérature. Ce qui m’importait désormais, c’était de défendre mon histoire.

N. O. – Pour qualifier les pirates, vous employez le terme de «la gent noire»…

J.- C Marguerite. – C’est une formule usuelle, comme on dit la «légende noire». Il y a de nombreux synonymes pour pirates ou flibustiers. En Angleterre, on les appelle les «gentilshommes de fortune». Ou encore les «gueux des mers», et surtout les « frères de la côte ».

N. O. – Dans votre roman, vous évoquez un pirate qui aurait financé la traduction du « Capital » en Amérique du Nord. Marx, camarade d’un pirate : c’est un scoop…

J.-C Marguerite. – C’était Jean Lafitte. J’ai lu ça quelque part quand j’étais adolescent, mais, hélas ! je n’en ai pas trouvé confirmation. Mais Marx ayant les faveurs d’un pirate, je ne pouvais pas laisser passer ça !

Propos recueillis par Anne Crignon

« Le Vaisseau ardent », par Jean-Claude Marguerite,
Denoël, 1286 p., 30 euros.

 

une bible qui recèle le plus fabuleux des romans d’aventure (D-Side)

« Une incroyable épopée à la force narrative étonnante, travail magistral relatant la chasse au trésor d’une vie, récit de piraterie et roman initiatique, monde ancien et contemporain, l’ouvrage de l’écrivain français Jean-Claude Marguerite, Le Vaisseau ardent, aux éditions Denoël, est une bible qui recèle le plus fabuleux des romans d’aventure. À lire d’urgence. »

D-Side, juillet 2010

D-Side 1007 interview

 

Comment se lance- t’on dans un roman d’une telle envergure ? Aviez-vous conscience de la tâche à accomplir ou était-ce un ambitieux postulat de départ ? Dix huit ans d’écriture, peut-on dire qu’il s’agit du roman d’une vie, de votre vie ?

À l’origine, ce n’était qu’un conte, improvisé pour mon fils qui avait 8 ans… L’histoire m’a plu, je l’ai développée en roman pour la Jeunesse, que j’ai récrit trois fois (sur une douzaine d’années) pour le soumettre à des éditeurs, sans succès sinon des encouragements… Et puis, j’ai eu l’occasion de changer mon angle d’approche et de ne plus me limiter à un lectorat donné : je souhaitais traiter de l’enfance, pas m’adresser à des enfants… Le projet a pris d’emblée une tout autre dimension : je me suis senti libre et décidé à l’écrire sans concession. À ce moment-là, oui, j’avais conscience que ce serait long et exigeant. Mais le « roman d’une vie »… J’espère en écrire d’autres et chaque fois considérer que c’est le plus important.

Quels grands romans d’aventure vous ont accompagné, enfant ou adulte ? Le rêve de cette aventure là est-il tout ce qui résume notre existence : tendre vers mais ne jamais atteindre ?

Mon émerveillement pour la lecture remonte à mes 11-13 ans, quand je relisais en boucle Walter Scott ou Fenimore Cooper… ou du moins, leurs versions expurgées en Bibliothèque bleue. J’y ai souvent repensé en corrigeant mon texte, c’était un critère déterminant pour couper, récrire, donner du rythme…

« Tendre vers mais ne jamais atteindre » me semble un peu radical et plutôt pessimiste. L’enjeu d’une chasse au trésor amène une autre question que me ressemble davantage : une fois le trésor trouvé, on fait quoi ? (qui peut être vue comme une variation du thème : pourquoi perdre sa vie à la gagner ?)

Pensez-vous que nous fantasmons l’Histoire ? Pourquoi l’Egypte ancienne nous fait-elle à ce point rêver par exemple, car c’était une période sombre, dure, souvent cruelle pour les hommes qui y vivaient ? Et la piraterie n’était pas un univers tendre non plus..

Que savons-nous de l’Égypte ancienne ? Nos sources sont multiples, souvent plus commerciales que pédagogiques, non ? Je crois que nous aimons rêver une Égypte mythique, comme nous aimons rêver à la liberté des pirates. On sait que c’était un univers cruel, invivable selon nos critères, mais on passe outre avec une facilité déconcertante. Ça ne me semble pas très différent que lorsque je jouais aux gendarmes et aux voleurs… En fait, ces périodes sont des portes sur un imaginaire commun, et c’est ce qui m’a intéressé – aller voir de l’autre côté… Ce qui ne m’empêche pas d’exposer en contrepoint la réalité dans toute sa crudité. Les premières années du Pirate Sans Nom doivent beaucoup aux enfants des rues d’aujourd’hui, il ne faut pas idéaliser le monde dans lequel nous vivons en chargeant le passé.

Ce livre relate une chasse au trésor hors du commun. Et ce trésor, justement, a-t-il réellement de l’importance en soi? Tout comme le suspense guide un livre pour que nous le suivions jusqu’au bout, c’est la quête et non sa réalisation qui nous fait avancer…

Chaque personnage cultive sa propre conception du mot « trésor », et celle-ci évolue avec le temps. C’est peut-être toujours la même quête, mais Anton, devenu le commandant Petrack, se pose très précisément la question et s’interroge sur la distinction entre « trésor » et « vrai trésor »… Ce qui n’est pas tout à fait pareil sous l’angle de la quête et de la réalisation…

Anton et Jak, vos personnages principaux, sont des enfants, épris de liberté et d’envie de voyages. Etait-ce un choix pour avoir plus de latitude de temps quand à l’aventure à venir ou estimez-vous que les rêves que nous faisons à cet âge là sont les plus captivants, en tout cas, ceux qui possèdent le plus de force ?

J’aurais tendance à penser que certains rêves d’enfance forgent le caractère de certains d’entre nous… et que d’autres les refoulent pour entrer dans le moule des grandes personnes. À peu d’exceptions près, j’ai tenu à évoquer l’enfance des adultes-clés de l’histoire pour illustrer son incidence dans leurs choix, mais aussi l’emprise des années sur ces rêves.

Quant à l’intensité des rêves, je ne peux parler que pour moi : à 55 ans, toujours pas d’usure !Anton en particulier a une revanche à prendre sur la vie, il se sent décalé, rabaissé. Y a-t-il une morale derrière ceci, une idée de ce que doit être la volonté ?

C’est plutôt un constat : certains font une force de ce qu’ils présument être une faiblesse – en ressortent-ils plus heureux ? J’avais envie de mettre en scène ce type de caractère ; d’autres personnages cruciaux du livre ne suivent pas ce schéma. Et puis, avoir de la volonté est une chose, savoir ce que l’on veut vraiment en est une autre : « Qu’est-ce qui est important ? » vous répondrait le commandant Petrack…

On découvre ici une multitude de paysages, de cultures, des pays chauds au Groenland. On décèle une sorte de sentiment d’urgence à vouloir tout croquer, tout parcourir, une envie de narration autant que d’apprentissage. Désiriez-vous faire de ce roman une sorte d’hommage au monde dans lequel nous vivons, comme un témoignage à laisser ?

Ah, je ne me suis pas posé cette question ! Il faudra que j’y réfléchisse… Je suis sans conteste casanier, peut-être parce que je voyage autrement…

Dans le chapitre La Carte aveugle, j’évoque les conséquences du réchauffement climatique sous l’angle de l’archéologie : l’élévation du niveau des eaux va nous priver d’une part de notre histoire. Qu’allons-nous perdre encore ?

Pourquoi avoir choisi la Yougoslavie de Tito pour débuter cette aventure ?

Le Vaisseau ardent est né d’une rencontre avec l’éditeur d’une revue de plaisance italienne, il y a sept ans. Il aimait mon histoire de navire qui brûle sans se consumer, et voulait que j’en sorte un livret pour accompagner son numéro d’été. Dans mon roman Jeunesse, l’intrigue commençait quand le commandant Petrack partait sur la piste du trésor d’un pirate évoqué quand il avait 10 ans, et je n’en disais pas plus. En choisissant de rédiger une sorte d‘introduction, j’ai décidé de faire vivre Anton sur un port – et d’y voler les plaisanciers, justement ! J’ai préféré situer l’action de l’autre littoral de l’Adriatique, sachant combien les Romains avaient souffert des pirates des côtes dalmates. Quant à l’époque, elle se justifiait en situant l’action finale de nos jours, Anton Petrack ayant soixante ans. Les événements qui ont présidé à l’éclatement de la Yougoslavie, que je n’évoque qu’en deux phrases, consolidaient ce choix.

Cette collaboration avec la revue n’a pas eu de suite, mais j’avais lancé les bases du premier chapitre du Vaisseau ardent et trouvé une liberté de ton qui m’a elle-même stimulé.

Pourquoi les vaisseaux fantômes, les pirates ? (Lunes d’encre)

Mini interview de Gilles Dumay, directeur de la collection Lunes d’encre et mon édiseur chez Denoël

 

Lunes d’encre / Jean-Claude Marguerite, vous arrivez en librairie le 10 juin avec un premier roman de 1 300 pages Le Vaisseau ardent. Pouvez-vous vous présenter à vos futurs lecteurs qui, forcément, ne vous connaissent pas ?

Jean-Claude Marguerite / Depuis l’âge de quinze ans, je suis attiré autant par l’écriture que par la photographie. Trouver un point d’équilibre qui me satisfasse durablement n’a pas été facile… Mes premiers choix professionnels, journalisme et publicité, ont représenté des compromis que j’estimais judicieux : ce sont des métiers de curiosité, qui m’ont permis de fréquenter les coulisses de milieux très différents. De même, je suis resté longtemps en Normandie, convaincu qu’il faut bien connaître son jardin avant de voyager… Bon, je ne suis pas allé très loin par la suite, mais passer de la campagne à Paris, il y a déjà de quoi approfondir…

Aujourd’hui, je travaille en indépendant dans l’édition, côté fabrication. J’enseigne également la PAO à de futurs éditeurs, à qui je présente la typographie sous l’angle de la lisibilité : notre souci n’est plus l’auteur, mais le lecteur… Il est possible que ces cours ont finalement influencé mon approche de la littérature. Je suis sorti de l’ombre de la statue de l’écrivain écrivant, je me suis donné pour objectif de raconter une histoire, de la manière la plus efficace possible. D’une certaine façon, Le Vaisseau ardent est moins un livre que j’avais envie d’écrire, que celui que j’ai envie de lire. Ce point de perspective a tout changé dans mon écriture.

 

Vous avez commencé à penser ce récit il y a presque vingt ans. Quelle est l’histoire de la conception et de la rédaction de ce premier roman ?

Tout est parti d’une histoire que j’ai inventée pour mon fils, qui avait alors 8 ans. Nous revenions de voir Hook, et l’idée de la confrontation d’un monde adulte au Pays imaginaire m’a inspiré… J’ai pris des notes, j’en ai fait un conte, puis un petit roman Jeunesse. J’ai travaillé longtemps sur ce livre, le réécrivant trois ou quatre fois. À mon grand désarroi, si j’ai eu plusieurs réactions positives d’éditeurs, qui appréciaient la trame, il manquait toujours quelque chose pour le publier… Sur le point de me résigner (après douze ans…), ma femme m’a présenté un ami qui dirige une revue de plaisance italienne. Par hasard, tout en dînant, j’ai parlé de mon roman et il m’a aussitôt proposé d’en extraire une novella, axée sur le navire en feu et le pirate, pour étoffer le numéro d’été de son magazine. J’ai dit oui, bien sûr, tout en réalisant : d’une part que je n’avais pas le matériel (mais la matière, notamment en développant l’origine de l’obsession d’Anton Petrack pour ce pirate), et d’autre part que j’avais commis une erreur : le Vaisseau ardent ne devait pas rester un accessoire, mais devenir un personnage à part entière.

Dans les jours qui ont suivi, par jeu, j’ai fait d’Anton un apprenti pirate s’en prenant aux plaisanciers, mais j’ai situé l’action sur l’autre rive de l’Adriatique (je venais d’achever le rewriting d’un guide sur la Croatie). Le chapitre La Grotte aux trésors est né ainsi ; mais, avant un mois, la calculette avait tranché : l’idée du livret de 80 pages était abandonnée au profit d’une nouvelle de 5 000 signes. Mon plan en faisait déjà le double ! J’ai laissé cette enfance de côté pour rédiger une légende à la base du mythe du Vaisseau ardent. La première version de L’Île du chaos noir a donc été traduite… mais pas retenue… Je me retrouvai alors avec un prologue, une ébauche d’introduction et un roman – tous refusés !

Mais ce qui avait surtout changé, outre que j’approchais des 50 ans, c’est que cette histoire venait d’acquérir à mes yeux une tout autre ampleur, et que si son sujet demeurait l’enfance, ce que je venais d’écrire ne se destinait plus du tout à ce public. Quelle liberté ! Me souvenant d’un reportage sur les gangs armés des enfants des Favelas, de discussions avec un ami disparu, j’ai réalisé qu’entre l’utopie des jeux et l’enfer des rues ou de la solitude, j’avais énormément de réflexions et d’observations à aborder… J’ai tout mis à plat et j’ai tout récrit (le roman initial se retrouve essentiellement dans les 400 dernières pages, mais je n’ai pas copié/collé un seul paragraphe), m’accordant du temps et optant délibérément pour une totale liberté littéraire : quitte à risquer d’essuyer de nouveaux refus, autant écrire un livre sans concession…

 

Comment présenteriez-vous Le Vaisseau ardent, sans trop en révéler cependant ?

Le Vaisseau ardent est une chasse au trésor, un jeu de piste à base d’énigmes, de défis et d’aventures. Chacun des protagonistes défend sa propre conception du mot trésor, et celle-ci évolue au fil des pages… Comment trouver un trésor sans s’interroger sur sa véritable nature ? Ou se soustraire à son emprise ?

Anton a dix ans et rêve de devenir un pirate ; l’historien qu’il rencontre rêvait de révéler que le plus fameux pirate de tous les temps a réussi à échapper à l’Histoire. Leur complicité reste houleuse : comment croire l’autre ? Ce qui les rapproche les divise, au point d’éloigner l’enfant de sa quête. Anton devra attendre d’être devenu le « commandant Petrack », un sceptique qui ne s’est jamais résolu à écarter définitivement l’hypothèse du « Et si c’était vrai ? », pour réaliser qu’il détient depuis l’enfance toutes les pièces du puzzle… Mais ce cartésien méthodique se trouve contraint d’aller jusqu’au bout de ses doutes, car l’image recomposée est celle du Vaisseau ardent, qui remet tout en cause et repose la question du vrai trésor. Le Vaisseau ardent est-il une légende, un mythe oublié, voire un mythe fondateur ?

 

Pourquoi les vaisseaux fantômes, les pirates ?

Pirates, trésor, vaisseaux fantômes : ces mots sont des portes d’un imaginaire dont les clés traînent dans les poches de tous les enfants – rares sont les adultes qui ne les ont pas égarées. Pourtant, le temps d’un film ou d’un livre, la figure romanesque du pirate (l’esthétique d’une liberté inaccessible, une fable à l’opposé de sa condition réelle) recouvre ses droits. C’est une lucarne suffisante pour évoquer le passage de l’enfance à l’âge adulte, l’empreinte tenace de l’imaginaire de nos premières années, et, de là, la place des croyances dans les décisions « mûries » de notre vie… C’est la part du rêve qui me motive, son influence, nos efforts pour nous en affranchir, l’illusion d’y parvenir… et ses effets, heureux ou pervers, ses dérives, entre rage et mirages…

 

Quels sont vos projets, maintenant que ce premier roman va paraître ?

Plusieurs idées me trottent en tête, certaines avancent mieux que d’autres… Je viens de consacrer quatre années essentiellement à réécrire Le Vaisseau ardent, peaufinant un paragraphe ou biffant cent pages pour les refaire. Cette approche me convient, j’ai besoin de temps. Alors, je vais laisser mijoter mes préparations, veiller à touiller de temps à autre, rajouter un peu d’épices, goûter et méditer, et dès que mon plat sera à point, je l’afficherai au menu…

D’ici là, en guise d’amuse-gueules, je n’ai que des photos à vous suggérer…

on ne sait jamais ce qui est vrai dans votre récit (Liwreo)

Interview ayant accompagné la bande annonce du Vaisseau ardent, réalisée par Liwreo. Elle sera vue plus de 11 000 fois, le site fermant ses portes, en février 2011, alors qu’elle était à 2 clics de la 4e place.

 

1 – Liwreo.com : 18 années d’écriture pour ce roman. Comment avez-vous vécu la 19e année sans plus une ligne à rédiger sur le Vaisseau ardent ?

Il y a encore quelques semaines, je travaillais sur les épreuves : c’était la première fois que je relisais Le Vaisseau ardent d’un seul tenant… Et puis, il a fallu arrêter et laisser cette histoire commencer à vivre sa propre destinée. Je ressens forcément un vide, mais je recouvre une certaine liberté.

2 – Liwreo.com : Vous donnez une réalité à l’imaginaire qui entoure la piraterie. Et pourtant, on ne sait jamais ce qui est vrai dans votre récit. Pourquoi avoir instauré ce jeu de dupes constant ?

Dans la vie, les choses ne me semblent pas plus claires non plus. Bien qu’on s’en accommode, par nécessité. L’important, c’est d’avancer. Mais, tant de certitudes sont professées que j’avais très envie d’aborder la question du doute.

3 – Liwreo.com : Comment est né le personnage extraordinaire de l’Ivrogne, prince des conteurs ?

D’un souvenir revisité. Adolescent, j’ai rencontré un clochard qui m’a fait visiter Caen de nuit, pour en raconter l’histoire. J’ai vérifié ses anecdotes, elles étaient toutes fondées. Il était ivre et prétendait avoir signé chez Gallimard… J’ai cherché à le revoir le lendemain, en vain. Cela m’a paru un bon départ… Continue reading