Le 27 juillet 2010, par Anne Crignon, Bibliobs, depuis Le Nouvel Observateur du 22 juillet 2010.

 

« Le Vaisseau ardent » aborde nos plages. Cette saga monumentale, promise au succès, raconte la fabuleuse histoire du Pirate Sans Nom, qui hante la mémoire d’un marin d’aujourd’hui. Comme celle de Jean-Claude Marguerite, son auteur. Rencontre 

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Né à Ecouché (Orne) en 1955, Jean-Claude Marguerite a travaillé à 20 ans comme localier pour « Ouest France » à Argentan et à L’Aigle. Il est graphiste et photographe.

Un port de l’Adriatique, dans les années 1950. Deux gamins d’une dizaine d’années abordent unhomme qui boit seul chaque soir dans une chaloupe à l’abandon. En échange d’un vieux rhum frelaté, l’inconnu va leur raconter une histoire fabuleuse : la vie du Pirate Sans Nom, dont nul ne sait comment ni où il a disparu. Fasciné, l’un des deux enfants, Anton Petrack, va ancrer sa vie autour de cette légende. Il va devenir un commandant riche et célèbre après une vie passée à sillonner les mers boréales et à mener l’enquête sur ce forban mythique.

Vivre, serait-ce avoir toujours un rêve en réserve ? On retrouve Petrack vieillissant, penché sur un précieux grimoire : le journal du Pirate Sans Nom. Orphelin à 6 ans, celui-ci mène un combat parfois meurtrier pour s’imposer dans les rues malfamées d’une cité hollandaise au XVIIe siècle. En face, l’archipel Frison, point de ralliement des aventuriers des mers, lui fait de l’oeil. Un jour, peut-être… Cette épopée de près de 1300 pages est splendidement racontée : c’est « la Guerre des boutons » en hauts-de-chausses, avec pour héros un gosse malin et endurci qui s’endort chaque soir dans le froid en se remémorant, pour ne jamais l’oublier, le timbre de la voix maternelle.

A.C.

Le Nouvel Observateur. – Ce roman est en filigrane un étonnant manuel de sociologie sur les pirates. Vous balayez pas mal d’idées reçues…

Jean-Claude Marguerite. – On a souvent une approche romantique de la piraterie où le héros a la tête d’Errol Flynn – ou d’Orlando Bloom. On le voit comme un homme libre affranchi de toutes les contraintes de la vie civilisée, qui vit en dehors des normes selon sa propre éthique – un pirate au grand coeur, quoi. Mais, derrière cette façade, il y a un homme seul, en rupture avec la société, ne mangeant pas tous les jours à sa faim, menacé de mort et de torture, avec une espérance de vie très limitée. Il est condamné à l’errance, car regagner la terre, c’est le gibet assuré. Que les gens pensent spontanément le contraire m’intéressait au plus haut point. « Pirate », « trésor », « vaisseau fantôme » sont les portes d’un imaginaire puissant, où ce que l’on veut croire l’emporte sur la raison.

N. O. – Le drapeau noir avec une tête de mort est un des clichés les plus répandus…

J.-C. Marguerite. – En réalité, les drapeaux étaient très variés, de véritables rébus, le plus souvent. Ils étaient d’abord une arme psychologique. Il fallait que ceux d’en face sachent ce qu’ils allaient subir. Le dessin d’une main qui brandit un boulet avec une mèche allumée, cela signifiait que le camp adverse n’avait plus beaucoup de temps à vivre. Barbe-Noire se représentait lui-même, tenant un sablier dans une main et une lance dans l’autre ! On trouvait aussi des squelettes, des bêtes fantastiques. Si le drapeau était noir, il y aurait des survivants, s’il était rouge, il n’y en aurait pas.

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(c)Gianni-Dagli-Orti
Figure de pirate en bois peint (17e siècle).

N. O. – Dans votre livre, un autre mythe s’effondre : celui du pirate plein aux as.

J.-C. Marguerite. – A quoi bon thésauriser et cacher son butin sur une île quand on risque sa vie chaque jour ? On a l’image du pirate qui vogue sur son bateau pour aller attaquer un galion bourré d’or. Mais ce bateau, il fallait l’acquérir, l’armer, rassembler un équipage. Et le galion, encore fallait-il le croiser ! Dans l’immense mer des Caraïbes, ça n’arrivait pas tous les jours. De plus, la plupart des bateaux transportaient des épices et pas toujours du métal précieux. La fortune du pirate, c’était au petit bonheur la chance.

N. O. – Le pirate est-il un héros de votre enfance ?

J.-C. Marguerite. – Pas vraiment. Je ne suis ni un passionné de longue date ni un expert d’ailleurs. De plus, contrairement au commandant Petrack, j’ai une mémoire de poisson rouge : je peux ingurgiter un certain nombre de données pour un travail précis, mais mon cerveau a ensuite tendance à tout effacer.

N. O. – Alors, quelle est l’origine de ce livre ?

J.-C. Marguerite. – En 1991, j’avais emmené mon fils de 8 ans voir « Hook » de Spielberg, la suite de « Peter Pan ». En sortant du cinéma, j’ai eu envie de confronter l’utopie enfantine au réalisme adulte. Certains d’entre nous restent assez fidèles à leurs rêves de jeunesse, d’autres assument une coupure très nette. Le soir même, j’ai inventé pour mon fils cette histoire, située au Groenland, avec une énigme : un vaisseau qui brûle sans se consumer. J’ai commencé à prendre des notes et j’ai écrit un conte d’une soixantaine de pages.

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« Hook ou la revanche du Capitaine Crochet », de Steven Spielberg (1992).

L’année suivante, j’ai essayé d’en faire un livre pour enfants. Pendant une douzaine d’années, j’ai proposé mon manuscrit, sans succès, mais avec quelques encouragements d’éditeurs qui trouvaient l’idée belle. Un jour, j’ai pris conscience que je voulais écrire non pour les enfants, mais sur les enfants. J’ai tout remis à plat. Et j’ai fait le livre dont j’avais envie. Si j’avais échoué, c’était peut-être aussi parce que je me faisais une trop belle image de la littérature. Ce qui m’importait désormais, c’était de défendre mon histoire.

N. O. – Pour qualifier les pirates, vous employez le terme de «la gent noire»…

J.- C Marguerite. – C’est une formule usuelle, comme on dit la «légende noire». Il y a de nombreux synonymes pour pirates ou flibustiers. En Angleterre, on les appelle les «gentilshommes de fortune». Ou encore les «gueux des mers», et surtout les « frères de la côte ».

N. O. – Dans votre roman, vous évoquez un pirate qui aurait financé la traduction du « Capital » en Amérique du Nord. Marx, camarade d’un pirate : c’est un scoop…

J.-C Marguerite. – C’était Jean Lafitte. J’ai lu ça quelque part quand j’étais adolescent, mais, hélas ! je n’en ai pas trouvé confirmation. Mais Marx ayant les faveurs d’un pirate, je ne pouvais pas laisser passer ça !

Propos recueillis par Anne Crignon

« Le Vaisseau ardent », par Jean-Claude Marguerite,
Denoël, 1286 p., 30 euros.