Le pouvoir de la photographie, c’est de suggérer une histoire. C’est le regard du spectateur qu’elle sollicite. L’aspect objectif, historique, ce fameux témoignage d’un moment passé, compte pour peu de chose sans les compléments d’une légende. Mais, nue, une photo interpelle notre sensibilité. Nos yeux s’y promènent, associent à leur manière des éléments qui la composent. Chaque image propose une foison d’interprétations, toutes uniques.
Bien sûr, le photographe a lui-même réagi à l’instant où ces éléments se sont assemblés de telle manière qu’il a dû déclencher. Son regard n’est pas impartial. Mais, il déclenche si souvent, et si peu de ses images perdurent! Ce qui fait son œuvre, c’est lorsqu’il touche à l’universel. Quand son cliché parle à tous, qu’il raconte une histoire sans parole, qu’il se fredonne.

(Ibiza, 2004)

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(San Francisco, 2007)

(Toscane, 2018)

Et au début, était l’œil…

J’ai commencé au lycée, presque par hasard. La photographie animalière m’attirait (j’animais deux groupes de chasseurs-photographes), mais la découverte des photos d’Henri Cartier-Bresson m’a convaincu de me consacrer au reportage social (Martine Franck, sa compagne, ainsi que Claude Dityvon et Richard Kalvar m’inviteront à les rejoindre au sein de l’agence Viva l’année de mes dix-neuf ans, projet qui ne s’est malheureusement pas réalisé). Au début, je photographiais des enfants, puis les fêtes, les manifestations, les paysans.

manif Paris

(Manifestation antinucléaire, Paris, vers 1974)

débarquement 1974

(Commémorations du débarquement, 1974)

musicien à Bagnoles 1978

(Défilé à Bagnoles-de-l’Orne, 1978)

moisson 85

(Reportage sur la moisson, 1985)

Étant devenu journaliste, et m’étant spécialisé dans le secteur du cheval, j’ai réalisé sur plusieurs années un reportage sur le quotidien du Haras du Pin, d’où une exposition inaugurée sur le site (accompagnée d’un livret), avant le Club du Leica.

voltige au HarasDuPin

(École des Haras, exercices de voltige, vers 1982)

juges au HarasDuPin

(Concours des étalons percherons, vers 1980)

Interruption, reprise

En 2000, après quelques années presque sans photo, j’ai approfondi quelques sujets (le livre, les sans-abri, Les quais de Seine à Paris, et, déjà, les Femmes du Père-Lachaise). Salon du Livre 2000•JCM•1

(Présentation des premières liseuses. Salon du livre, 2000)

(Sans-abris, 2004)

Depuis 18 ans…

Finalement, j’ai tourné mon objectif vers ces affiches publicitaires qui inondent notre quotidien, relevant dans leurs déchirures «l’autre côté des choses» cher à Anton, le héros de mon premier roman, Le Vaisseau ardent (Coup de cœur du Point en 2010).

En dix-huits annnées, j’ai accumulé une collection conséquente de morceaux choisis d’affiches barbouillées, déchirées, dégradées, qui ont déjà donné lieu à des expositions.

Pourquoi des affiches altérées ? Parce je ne regarde pas les choses pour ce qu’elles sont censées être ou devenir, mais telles qu’elles apparaissent, pour ce qu’elles sont devenues.
Cette démarche, je l’ai peu à peu appliquée à d’autres sujets : le ciel, la rue, les façades, les ombres. De quoi pimenter mes moindres sorties.

Massy, mars 2019

Mais quelque chose s’est passé quand j’ai redécouvert mon village natal, après qu’il a changé de nom. Retour au noir et blanc, recherche des matières et des lumières qui ont modelé mon regard.

(Écouché, 2019)

Et de là, l’envie de revisiter le Père-Lachaise, près duquel j’ai vécu, pour approfondir l’image qu’il donne des femmes. Et donc, notre regard sur elles.

(Père-Lachaise, 2020)

Cette prise en considération de l’image des femmes m’a amené à revisiter mes archives sur le métro, et à étendre la démarche à toutes les affiches. Et il y a matière…

(Métro, 2020)

Pour qui est parvenu jusqu’au bas de cette page, j’ajouterais que mon regard doit beaucoup aux écrits sur l’art d’André Malraux. La notion de métamorphose, notamment, dont j’ai retenu que ce que nous admirons n’a pas été nécessairement conçu à cette fin (les icônes étaient peintes par des artisans, en acte de foi ; que retiendrions-nous d’une Vénus de Milo polychrome et dotée de ses deux bras ?). La notion de synchronicité de Jung (nous chargeons de sens ce qui est pure coïncidence) est venue compléter ma sensibilité. La rigueur du peintre naturaliste Robert Hainard, qui ne dessinait que ce qu’il voyait, même lorsqu’il illustrait un guide ornithologique, m’a également engagé à ne rien recadrer ni arranger.
Suis-je si différent lorsque j’écris ? L’imaginaire ne semble pas très sérieux, cette distance permet de dire beaucoup de choses dans les détails, sans en faire tout un discours. Pour qui se montre attentif, à lire ou à regarder, il y a toujours plus à découvrir entre les lignes – la force d’une image et d’un texte est tout entière dans la suggestion.