« Nous ne sommes pas ». Paris, affiche(s), 20 octobre 2003.

Madame Bovary et Cartier-Bresson.
J’ai découvert la littérature au lycée, en même temps que la photographie, qui a été mon premier métier. Dans un roman, l’histoire que je brode est moins importante que les thèmes qu’elle explore et qui la façonnent. Une photo n’est pas si différente, une série encore moins. En surface, une image se compose d’éléments identifiables, mais, en profondeur, il y a tout ce qu’elle raconte. Écrire et photographier, c’est interroger le monde, s’interroger. Madame Bovary, l’incomprise, et Cartier-Bresson, l’anarchiste.
Méprise et frustration dans le métro
J’ai commencé à m’intéresser aux publicités dégradées dans le métro en raison d’une méprise. En marchant vite, j’avais cru voir une série d’affiches montrant les portraits de plusieurs célébrités, comme pour annoncer une rétrospective. Je m’étais trompé. C’était la même personne, Rolland Barthes, l’auteur de La Chambre claire, mais quelqu’un avait tagué ses yeux. D’une affiche à l’autre, son visage adoptait des expressions différentes. Ainsi, la modification d’un simple détail avait changé ma perception, et mon cerveau avait aussitôt échafaudé une explication satisfaisante, mais fausse. J’avais projeté du sens dans l’accidentel. Je suis revenu pour prendre ces affiches en photo, mais trop tard, elles avaient été remplacées.

Le miroir subliminal
Nous savons qu’une publicité est faite pour nous convaincre, nous pensons en être assez avertis pour déjouer ses pièges. Mais qu’en est-il lorsque l’affiche est dégradée, détachée de son message originel ? Elle contient encore des portions des codes visuels utilisés par l’annonceur, mais notre cerveau est maintenant libre de les associer, ce dont il ne se prive pas. À notre insu, il enregistre ces fragments et les relie à sa manière. Il interprète, il recrée une histoire. Ces affiches deviennent ainsi un miroir subliminal de nos pensées.
Les femmes, cibles et vecteurs
Drôles ou choquants, ces reflets pourraient relever de l’anecdotique, demeurer du premier degré. Ce n’est pas le cas. Ces lectures, plus ou moins inconscientes, nous confortent dans nos préjugés. C’est d’autant plus vrai de notre vision des femmes. Celles-ci sont à la fois les principales cibles et les principaux vecteurs de ces publicités. Les altérations de ces affiches évacuent l’intention commerciale, mais ce qui en ressort s’avère incroyablement sexiste.
En photographe et en romancier, je saisis et je commente ce que le miroir subliminal du métro parisien raconte de la condition féminine. Et c’est affligeant.

La gifle et la Mort. Paris, affiche(s), 10 janvier 2024.

Chaque dimanche midi, je commente une nouvelle photo du miroir subliminal sur mon blog.

La mariée au poing levé. Paris, affiche(s), 24 septembre 2023.
Mise à prix. Paris, affiche(s), 18 novembre 2003.
Marre. Paris, affiche(s), 24 octobre 2003.
Soumis et soumises. Paris, affiche(s), 22 décembre 2003.
clouée. Paris, affiche(s), 28 juillet 2007.
Elle n’a rien à dire. Paris, affiche(s), 18 décembre 2007.
Insécurité. Paris, affiche(s), 18 août 2010.

De la démarche au propos
Les déchirures des affiches ne parlent pas toutes de sexisme. Les couloirs du métro ont d’abord été mon théâtre de street photography. Mes deux premières expositions s’appelaient Le Continent éphémère (créatures imaginaires, paysages improbables) et Ceci n’est pas un tableau (des compositions de hasard), parce que ces regroupements illustraient la notion de miroir subliminal, ma démarche.
Je suis retourné au Père-Lachaise, où j’avais photographié « l’image des femmes », en réaction à l’orgueil des bustes masculins. Dès lors, le sexisme est devenu un propos.