littérature et photographie

Catégorie : Affiches (Page 1 of 23)

Elle n’a rien à dire. (miroir #8)

Paris, affiche(s), 18 décembre 2007.

Quels graffitis la perfection artificielle de ce modèle a-t-elle provoqués ? Ces slogans maudissaient-ils la publicité en général, accusaient-ils de dépravation la femme ayant posé, profitaient-ils du climat ambiant pour oser une blague potache? Je l’ignore. La censure est passée par là. Elle n’a pas noirci du texte, elle l’a blanchi. Et ce que ces bandeaux immaculés sous ces lèvres carmin nous disent alors, c’est que cette femme est réduite au silence. Sa fonction est de se montrer, grimée en poupée improbable aux épaules nues et à la peau lissée, et de se taire. De ne pas parler d’elle. De ne rien laisser percevoir de qui elle est, de ce qu’elle pense, éprouve, espère, regrette, subit.

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

L’insécurité. (miroir#7)

Paris, affiche(s), 18 août 2010.

Tout photographe élabore son musée imaginaire de la photographie. Certaines de ces œuvres se retrouvent dans le métro, et je suis parfois amené à intégrer ces références dans mes propres images.
Willy Ronis faisait des travaux chez lui quand il a aperçu son épouse se laver dans ce contre-jour. Il s’est interrompu, a pris deux ou trois clichés, puis il est retourné à sa tâche. Cet instantané est devenu pour moi une scène « iconique » de l’intimité familière des couples, la nudité en toute confiance. Dès lors, cette main d’un monstre imaginaire ne serait qu’une confrontation grotesque, une farce, si elle n’évoquait pas justement l’insécurité permanente des femmes, chez elles comme dans la rue. Aussi invraisemblable que s’avère l’identité du prédateur. 
Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Funambules. (miroir #6)

Paris, affiche(s), 7 janvier 2024.

Malgré la déchirure centrale, les dégradés de bleus se répondent en miroir. La teinte et la lumière sont celles d’un songe nocturne. En haut, cette femme n’est pas seule, quelqu’un la précède, quelqu’un la suit. C’est un défilé d’automates aux yeux effacés. Où vont-ils ? Vers quoi se dirigent-ils ou elles ou iels ? Est-ce une scène extraite d’un film d’horreur ? En bas, de cet homme, on ne sait que la main ballante, les jambes en appui, ainsi que l’entrejambe habilement éclairé. Alors, rêve ou réalité ?
Peut-être parce que cette femme demeure vêtue, cette vision ne suggère pas un fantasme érotique. Les ingrédients du sexisme sont pourtant réunis, la répartition des rôles si bien établie que cet amalgame ne choque personne.

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Mise à prix. (miroir#5)

La déferlante antipub de l’automne 2003 a mis en exergue une évidence négligée : les femmes sont tout à la fois les principales cibles et les principaux vecteurs des affiches. Cet étiquetage sauvage découpe ce modèle à la façon dont on désignait les pièces de viande dans une boucherie, et attribue un prix à chaque sein et au sexe. Mais la femme continue de dormir, la tête posée sur un oreiller en apesanteur. Le publicitaire la veut ainsi, attirante et passive. Docile, elle est le personnage d’une histoire rabâchée, elle est spectacle.
Les graffitis ajoutés dénoncent la marchandisation du corps, mais dans quel but ? Qui est mis en cause par cette mise à prix : le modèle, l’annonceur, le client, le chaland ?

Paris, affiche(s), 18 novembre 2003.

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Miroir #Spécial Saint-Valentin 2024

Couple mythique. Paris, affiches (s), 18 avril 2004.

Miroir Spécial Saint-Valentin 2024.
C’était un coup de chance. Ces deux affiches de films réunissaient, il y a vingt ans, un couple « mythique », Nicole Kidman et Tom Cruise, alors qu’ils n’étaient plus un couple dans la vie. C’est une image que j’aurais aimé publier sans commentaire. Mais, aujourd’hui, le milieu du cinéma, censé nous faire rêver, a de quoi nous faire déchanter.
Les abus de pouvoir sur les actrices (mais aussi les acteurs), mineures ou non, de la part de réalisateurs, d’acteurs, de producteurs que l’on aimait jusque-là, ou que simplement l’on respectait, se dénoncent à la pelle – tandis que des plates-formes de streaming abreuvent les jeunes de séries où la femme se soumet aux caprices pervers bellâtres. Il est vrai que l’industrie du divertissement, qui se fait appeler cinéma, est une industrie, avec ses exigences économiques. Et tant pis pour les dommages collatéraux.
Et la Saint-Valentin obéit aux mêmes exigences.

La mariée au poing levé (miroir #3)

La mariée au poing levé. Paris, affiche(s), 24 septembre 2023.

J’ai très vite remarqué cette mariée au poing levé, toute petite, noyée dans une abondance de motifs. Ce n’était qu’un des visuels destinés à signaler la modernité de je ne sais plus quel produit. D’une station à l’autre, je surveillais cette robe blanche sur fond noir, avec ces lèvres rouge-désir et sa couronne de fleurs rouge-supplice. Enfin, à la faveur du décollement de l’affiche, voilà qu’elle s’isole et se révolte. Elle dit non. Elle ose, elle se redresse. Cette pose statufiée déclenche l’effondrement du décor, l’affiche se rabat, expose sa face cachée, qui envahit l’espace. Telle une vague qui s’apprête à submerger la photo-souvenir des temps anciens, révolus.
Du moins, on aimerait y croire. Pourtant, à y regarder de plus près, cette mariée est bien blanche. Elle a revêtu une robe de pure tradition. Elle respire la bonne santé, ses mensurations correspondent aux canons contemporains. Elle lève le poing ? Et alors ? Ça lui passera. #MeToo s’intègre dans nos mœurs, #MeToo est devenu un argument publicitaire.

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Nous ne sommes pas (miroir #2)

« Nous ne sommes pas » Paris, affiche(s), 20 octobre 2003.

Que voyez-vous ? Je n’ai pas vu la publicité, je n’ai pas vu le slogan antipub. Je n’ai vu que ce fragment. Ce cri chapeauté par une mèche sur une paupière close, ce cri souligné par un trait qui scelle les lèvres fermées. J’ai vu ce visage penché dans une attitude d’abandon. Ou celle d’une absence. D’une résignation depuis si longtemps installée. J’ai vu ce « nous ne sommes pas » et j’ai lu : « nous n’existons pas, vous ne nous considérez pas comme de vraies personnes, nous ne sommes que des fonctions, confort et fantasmes. »
Cette photo prise voilà plus de vingt ans résonne toujours en moi. J’y pense souvent, je l’estime comme emblématique de ma démarche et de mon propos, qu’elle a annoncé et qu’elle résume.

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

La gifle et la Mort (miroir #1)

La gifle et la Mort. Paris, affiche(s), 10 janvier 2024 © Jean-Claude Marguerite
La gifle et la Mort. Paris, affiche(s), 10 janvier 2024 © Jean-Claude Marguerite

Que voyez-vous ? Moi, j’ai vu le geste de cet homme, sa main tendue et son bras replié, en élan ou après le coup, et le visage renversé de cette femme, comme giflée. Puis, j’ai vu la Mort. La Mort révélée par cette déchirure qui divise la figure de l’homme, la Mort qui s’en détache comme la bave d’une idée sale. Et puis, il y a ce « e », la signature de la terminaison féminine, face à son regard, comme si son geste s’adressait bel et bien aux femmes. À toutes les femmes.
Que faut-il retenir de cette photographie ? Sinon que, dans les faits, sa construction n’est que coïncidences, ces trois éléments ne sont reliés que par le hasard. Il s’agit des restes de trois affiches différentes, superposées. Elles se sont succédé ; seul cet instantané les réunit. Sans ces déchirures qui les agrègent, ce que la dominante rouge semble légitimer, cette scène symbolique de la violence faite aux femmes n’existerait pas. 
Cette photo vient d’être prise dans un couloir du métro parisien. Des milliers de personnes passent devant, l’enregistrent sans s’en rendre compte, en retiennent consciemment ou inconsciemment quelque chose. Mais quoi ? Qui s’en préoccupe ? Qui s’arrête pour la considérer et en dégager un enseignement ?
Qu’aviez-vous vu ? Que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.
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Violences faites aux femmes

En cette journée internationale contre les violences faites aux femmes, trois photos extraites de ma série sur les affiches du métro parisien, Nous ne sommes pas.

Métro, Paris, 2003. Paupières closes, pourquoi ? Plaisir ou souffrance ? Ces gouttes, des larmes ? Et puis, NON à quoi, à qui ? Pourquoi?
Métro, Paris, 2007. La blessure provoquée par cette flèche en plein front s’élargit, se répand, éclabousse. Mais elle n’éteint ce regard, planté, lui, dans nos yeux.
Métro, Paris, 2019. Cisaillée. Découpée, fragmentée. Tête baissée. Bouche ouverte, sans regard. Courbée, oui, mais pas résignée.

Les élection présidentielles (s’affichent)

À l’occasion des élections présidentielles 2022, j’ai fureté du côté des affiches près de chez moi. Toujours avec l’idée que leurs altérations (ici, délibérées) révèlent un sens caché (parfois subtile, parfois vraiment pas) qui a échappé à l’intention des militants. Pour rappel, je n’interviens ni avant ni après la prise de vue (sauf pour passer l’image en noir et blanc), mais cette fois j’ai utilisé une optique à flou et décentrement, qui permet de valoriser une portion de l’image.

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