littérature et photographie

Auteur/autrice : Jean-Claude Marguerite (Page 1 of 48)

Romancier, photographe.

Soumis et soumises.

Paris, affiche(s), 22 décembre 2003.

Ce petit homme a bien du mal à escalader ce corps. Contrairement à ce que proclame le graffiti, c’est la femme qui le domine. Mais on ne voit d’elle que le soutien-gorge, d’une teinte associée à la volupté. Et puis, à l’évidence, cette disproportion relève du gag. Pourtant, bien des hommes pourraient s’identifier à ce personnage, qui tente d’atteindre ce que le texte clame. Ils s’évertuent à se comporter à l’exemple du mâle alpha, alors qu’ils ignorent qu’ils pourraient s’affirmer autrement, sans démériter. Mais le savent-ils? Ou, plus exactement, leur laisse-t-on le savoir?
Le sexisme repose sur un modèle auquel la plupart des hommes s’échinent à se conformer, alors qu’il ne leur correspond pas. Et bien des femmes s’accordent à ce stéréotype, qui ne leur convient pas davantage.

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Clouée.

Paris, affiche(s), 28 juillet 2007.

Clouée. Cette femme qui nous regarde est clouée à un mur, maculé. La plaie ne s’est pas refermée, la peau a rosi. Depuis combien de temps ces projections couvrent-elles ses yeux, qu’elle ne détourne pas ? Elle nous regarde. Qu’attend-elle de nous ?
L’emplacement est celui du troisième œil, dont ce supplice la prive. Comme si son tortionnaire redoutait un pouvoir spécifique à son sexe, sorcellerie et compagnie. Mais qu’importent les raisons de son martyre, ses yeux nous fixent intensément, ils ne dépérissent pas. Ils ne nous condamnent pas pour autant. Ils nous livrent à nos propres interrogations. Qui peut mériter pareil traitement ? Qu’avons-nous laissé faire ?
Et vous, que voyez-vous ?
Chaque dimanche, une photo commentée du sexisme dans Le Miroir subliminal du métro parisien.

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Lacérée.

Paris, affiche(s), 20 septembre 2019.

Pourquoi lacère-t-on l’image d’une femme ? La photographie originale est prise en plongé et ne montre pas si cette femme est debout ou couchée, mais elle est dominée. On ne sait rien de son regard, sa bouche ouverte ne nous renseigne pas sur le lieu, le contexte, les enjeux. Mais quelqu’un a apporté son cutter et a découpé en deux grands gestes ce visage. Sans autre indice que ces plaies de papier, cet acte haineux relève de la misogynie. Que me dit-il encore ?
Son auteur a agi sous l’injonction d’une double projection. Il s’en est pris à une photo, il s’en est pris à ce que cette illustration éveille en lui. C’est sa tentation qu’il combat, sa propre faiblesse qu’il exhibe. Son incapacité à contenir ses pulsions le fait procureur et bourreau. L’accusée est innocente, elle n’en est pas moins sa victime.

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Le poids des regards.

Paris, affiche(s), 11 décembre 2023.

Image faite ou image prise ? Ces amalgames accidentels sont parfois si évidents, si limpides, que l’on pourrait croire à un montage. Ici, le maquillage de l’homme trahit une mise en scène, alors que lui répond le dessin minimaliste d’une femme. Les deux visages se font écho – cadrages et proportions identiques, même exagération des expressions. 
Même les déchirures semblent habilement ajoutées. La principale pourrait simuler un vandalisme fortuit, sa diagonale sépare les deux protagonistes à parts égales ; les autres soulignent le regard de l’un, comme des flammes qui en jaillissent, ou abîment le visage de l’autre. Ce voisinage fait cliché, tant il illustre clairement la menace usuelle que ressentent la plupart des femmes dans le métro. 

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Objets de désir.

Paris, affiche(s), 2 juin 2004.

La jeune femme évite notre regard, comme pour nous laisser l’envisager. Ses épaules sont nues, sa peau dorée est fleurie d’une improbable décoration qui recouvre sa poitrine, qui court peut-être jusqu’au bas de son ventre. Mais une autre femme prend le relais, quelque peu austère, ainsi vêtue de noir. Ses mains plus âgées soutiennent ses seins que seuls ses doigts modèlent. L’amalgame évoque moins l’opposition des générations que la dualité du don et du refus.
Mais, il y a une troisième femme, dont on n’aperçoit que les lèvres closes dans le fouillis des déchirures. Quel est son rôle, celui d’une observatrice ? Sa présence et son mutisme changent la scène, les deux autres ne sont plus seules en cause. La troisième annonce moins la multitude que la généralité du sort des femmes, objets de désir. Et ce qui semblait une double attitude n’en forme plus qu’une. Si la jeune femme évite notre regard, c’est pour se protéger.

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

L’enfance généreuse.

Paris, affiche(s), 5 septembre 2017.

Au moins trois affiches se sont succédé, leur côtoiement est accidentel. Cependant, cet instantané les réunit, les fige et les accorde en un présent intemporel. En noir et blanc, voici l’enfance généreuse et spontanée ; en couleur, l’univers complexe des adultes, un monde polychrome riche en tentations. La fillette partage une pomme avec un plus grand qu’elle. Dans son dos, deux hommes chamarrés épient ; celui de gauche la regarde. Ou il la convoite.
Je n’ai vu que la menace qui pèse sur elle. La déchirure en diagonale semble l’isoler, et donc la protéger, mais les motifs floraux qui bordent l’enfant sont rouges, comme de mauvaises plaies. Des cicatrices invisibles des abus que subissent filles et garçons en si grand nombre et partout, et qui ne s’expliquent pas autrement que par le « Je veux, je prends. »

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

L’homme à l’envers.

Paris, affiche(s), 7 janvier 2024.

Les plis colorés célèbrent ce danseur en robe chatoyante, la tête en bas. Un homme à barbe et aux lèvres écarlates. Est-ce le monde à l’envers ? Ou bien, est-ce notre monde qui a perdu son bon sens ?
Il fut un temps où les femmes n’avaient pas le droit de chanter ou de jouer au théâtre, leurs rôles étant portés par des hommes. Devrait-on aujourd’hui s’étonner d’un homme en jupe ? Devrait-on jamais déterminer qui est quoi et qui fait quoi ?
La répartition manichéenne des genres n’assigne pas qu’aux femmes qui et comment elles doivent être. Elle impose un modèle de comportement et de figuration machistes à tous ceux nés dotés d’un pénis. Y compris à ceux qui ne s’interrogent pas sur leur identité. Question de paresse ou de lacune intellectuelle, suivre un archétype s’avère moins exigeant que cheminer vers la découverte et l’affirmation de soi et selon soi.

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Emprisonnée.

Paris, affiche(s), 7 septembre 2020.

J’ai vu une jeune femme s’abandonner à la danse, j’ai vu les barreaux de cette grille se refermer sur son rêve, j’ai vu l’enthousiasme des féministes contré par le principe de réalité.
Ce jour-là, je me rendais au Père-Lachaise, pour y photographier la représentation des femmes. Cette affiche m’a amené à penser que leur combat est perpétuel, sans véritable espoir de victoire définitive.
Les publicités touchent notre quotidien à la façon d’un décor récurrent (s’il a beau se renouveler, il professe toujours les mêmes valeurs). Le cimetière est un lieu de mémoire, l’art funéraire, une célébration qui véhicule une image stéréotypée des rôles. Dans les deux cas, nous n’y prêtons pas garde, tout nous paraît si familier. La représentation ordinaire des femmes nous emprisonne tous dans une vision sexiste.

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Hasard du calendrier, la revue L’Œil de la photographie (et The Eye of photography) vient de publier un portfolio sur l’autre volet de mon travail sur le sexisme, L’art funéraire eu Père-Lachaise.

Nues.

Paris, affiche(s), 20 octobre 2009.

Deux femmes aux francs regards, l’une couchée et l’autre debout. On ne distingue aucun vêtement, on aperçoit la main d’une troisième en masque de ses seins. La déchirure évoque la révélation de ce que l’on s’attend à voir de celle qui se tient droite. Ses yeux clairs se sont rivés sur nous, en défi ou en invitation.
Pourtant, ce qui nous est dévoilé de celle qui est allongée ne suggère aucune complicité, nous ne trouvons pas davantage de signes de crainte. La pudeur du geste n’atténue pas l’état de nudité, il le souligne, c’est un fait assumé. Une façon de dire aux hommes : « Je sais que tu me vois telle que mon corps est fait, soit ! Cela ne te donne aucun droit. » Ah, oui. On reconnaît une actrice. C’est-à-dire une de ces femmes que l’on a déjà peut-être vue dévêtue dans un film. « C’était un rôle, cela ne te donne pas davantage de droits. »

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

« Older posts