Mini interview de Gilles Dumay, directeur de la collection Lunes d’encre et mon édiseur chez Denoël

 

Lunes d’encre / Jean-Claude Marguerite, vous arrivez en librairie le 10 juin avec un premier roman de 1 300 pages Le Vaisseau ardent. Pouvez-vous vous présenter à vos futurs lecteurs qui, forcément, ne vous connaissent pas ?

Jean-Claude Marguerite / Depuis l’âge de quinze ans, je suis attiré autant par l’écriture que par la photographie. Trouver un point d’équilibre qui me satisfasse durablement n’a pas été facile… Mes premiers choix professionnels, journalisme et publicité, ont représenté des compromis que j’estimais judicieux : ce sont des métiers de curiosité, qui m’ont permis de fréquenter les coulisses de milieux très différents. De même, je suis resté longtemps en Normandie, convaincu qu’il faut bien connaître son jardin avant de voyager… Bon, je ne suis pas allé très loin par la suite, mais passer de la campagne à Paris, il y a déjà de quoi approfondir…

Aujourd’hui, je travaille en indépendant dans l’édition, côté fabrication. J’enseigne également la PAO à de futurs éditeurs, à qui je présente la typographie sous l’angle de la lisibilité : notre souci n’est plus l’auteur, mais le lecteur… Il est possible que ces cours ont finalement influencé mon approche de la littérature. Je suis sorti de l’ombre de la statue de l’écrivain écrivant, je me suis donné pour objectif de raconter une histoire, de la manière la plus efficace possible. D’une certaine façon, Le Vaisseau ardent est moins un livre que j’avais envie d’écrire, que celui que j’ai envie de lire. Ce point de perspective a tout changé dans mon écriture.

 

Vous avez commencé à penser ce récit il y a presque vingt ans. Quelle est l’histoire de la conception et de la rédaction de ce premier roman ?

Tout est parti d’une histoire que j’ai inventée pour mon fils, qui avait alors 8 ans. Nous revenions de voir Hook, et l’idée de la confrontation d’un monde adulte au Pays imaginaire m’a inspiré… J’ai pris des notes, j’en ai fait un conte, puis un petit roman Jeunesse. J’ai travaillé longtemps sur ce livre, le réécrivant trois ou quatre fois. À mon grand désarroi, si j’ai eu plusieurs réactions positives d’éditeurs, qui appréciaient la trame, il manquait toujours quelque chose pour le publier… Sur le point de me résigner (après douze ans…), ma femme m’a présenté un ami qui dirige une revue de plaisance italienne. Par hasard, tout en dînant, j’ai parlé de mon roman et il m’a aussitôt proposé d’en extraire une novella, axée sur le navire en feu et le pirate, pour étoffer le numéro d’été de son magazine. J’ai dit oui, bien sûr, tout en réalisant : d’une part que je n’avais pas le matériel (mais la matière, notamment en développant l’origine de l’obsession d’Anton Petrack pour ce pirate), et d’autre part que j’avais commis une erreur : le Vaisseau ardent ne devait pas rester un accessoire, mais devenir un personnage à part entière.

Dans les jours qui ont suivi, par jeu, j’ai fait d’Anton un apprenti pirate s’en prenant aux plaisanciers, mais j’ai situé l’action sur l’autre rive de l’Adriatique (je venais d’achever le rewriting d’un guide sur la Croatie). Le chapitre La Grotte aux trésors est né ainsi ; mais, avant un mois, la calculette avait tranché : l’idée du livret de 80 pages était abandonnée au profit d’une nouvelle de 5 000 signes. Mon plan en faisait déjà le double ! J’ai laissé cette enfance de côté pour rédiger une légende à la base du mythe du Vaisseau ardent. La première version de L’Île du chaos noir a donc été traduite… mais pas retenue… Je me retrouvai alors avec un prologue, une ébauche d’introduction et un roman – tous refusés !

Mais ce qui avait surtout changé, outre que j’approchais des 50 ans, c’est que cette histoire venait d’acquérir à mes yeux une tout autre ampleur, et que si son sujet demeurait l’enfance, ce que je venais d’écrire ne se destinait plus du tout à ce public. Quelle liberté ! Me souvenant d’un reportage sur les gangs armés des enfants des Favelas, de discussions avec un ami disparu, j’ai réalisé qu’entre l’utopie des jeux et l’enfer des rues ou de la solitude, j’avais énormément de réflexions et d’observations à aborder… J’ai tout mis à plat et j’ai tout récrit (le roman initial se retrouve essentiellement dans les 400 dernières pages, mais je n’ai pas copié/collé un seul paragraphe), m’accordant du temps et optant délibérément pour une totale liberté littéraire : quitte à risquer d’essuyer de nouveaux refus, autant écrire un livre sans concession…

 

Comment présenteriez-vous Le Vaisseau ardent, sans trop en révéler cependant ?

Le Vaisseau ardent est une chasse au trésor, un jeu de piste à base d’énigmes, de défis et d’aventures. Chacun des protagonistes défend sa propre conception du mot trésor, et celle-ci évolue au fil des pages… Comment trouver un trésor sans s’interroger sur sa véritable nature ? Ou se soustraire à son emprise ?

Anton a dix ans et rêve de devenir un pirate ; l’historien qu’il rencontre rêvait de révéler que le plus fameux pirate de tous les temps a réussi à échapper à l’Histoire. Leur complicité reste houleuse : comment croire l’autre ? Ce qui les rapproche les divise, au point d’éloigner l’enfant de sa quête. Anton devra attendre d’être devenu le « commandant Petrack », un sceptique qui ne s’est jamais résolu à écarter définitivement l’hypothèse du « Et si c’était vrai ? », pour réaliser qu’il détient depuis l’enfance toutes les pièces du puzzle… Mais ce cartésien méthodique se trouve contraint d’aller jusqu’au bout de ses doutes, car l’image recomposée est celle du Vaisseau ardent, qui remet tout en cause et repose la question du vrai trésor. Le Vaisseau ardent est-il une légende, un mythe oublié, voire un mythe fondateur ?

 

Pourquoi les vaisseaux fantômes, les pirates ?

Pirates, trésor, vaisseaux fantômes : ces mots sont des portes d’un imaginaire dont les clés traînent dans les poches de tous les enfants – rares sont les adultes qui ne les ont pas égarées. Pourtant, le temps d’un film ou d’un livre, la figure romanesque du pirate (l’esthétique d’une liberté inaccessible, une fable à l’opposé de sa condition réelle) recouvre ses droits. C’est une lucarne suffisante pour évoquer le passage de l’enfance à l’âge adulte, l’empreinte tenace de l’imaginaire de nos premières années, et, de là, la place des croyances dans les décisions « mûries » de notre vie… C’est la part du rêve qui me motive, son influence, nos efforts pour nous en affranchir, l’illusion d’y parvenir… et ses effets, heureux ou pervers, ses dérives, entre rage et mirages…

 

Quels sont vos projets, maintenant que ce premier roman va paraître ?

Plusieurs idées me trottent en tête, certaines avancent mieux que d’autres… Je viens de consacrer quatre années essentiellement à réécrire Le Vaisseau ardent, peaufinant un paragraphe ou biffant cent pages pour les refaire. Cette approche me convient, j’ai besoin de temps. Alors, je vais laisser mijoter mes préparations, veiller à touiller de temps à autre, rajouter un peu d’épices, goûter et méditer, et dès que mon plat sera à point, je l’afficherai au menu…

D’ici là, en guise d’amuse-gueules, je n’ai que des photos à vous suggérer…