littérature et photographie

Étiquette : feminisme

Désenchantée. (miroir #9)

J’ai vu dans le télescopage de ces deux affiches l’espoir brisé de bien des adolescentes. Nombre de celles que j’ai connues ont partagé un rêve de princesse contemporaine, être chanteuse ou danseuse ou actrice, célèbre et adulée. À droite, Broadway, avec le soleil sur fond bleu tamisé, gage d’une promesse auquel rien ne paraissait devoir s’opposer. Mais, cette vision s’effrite, et les déchirures qui s’en détachent font écho aux paillettes qui se décollent du visage, à gauche. D’un vert cru, c’est la figure d’une jeune femme désenchantée qui regarde lui échapper ce qui semblait devoir la définir. Pourquoi sont-elles si nombreuses à partager les mêmes élans avant les mêmes revers ? Les publicités et ce qu’il en reste nous conditionnent à accepter stéréotypes après stéréotypes.
Et vous, que voyez-vous ?

Paris, affiche(s), 14 novembre 2023.

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

L’insécurité. (miroir#7)

Paris, affiche(s), 18 août 2010.

Tout photographe élabore son musée imaginaire de la photographie. Certaines de ces œuvres se retrouvent dans le métro, et je suis parfois amené à intégrer ces références dans mes propres images.
Willy Ronis faisait des travaux chez lui quand il a aperçu son épouse se laver dans ce contre-jour. Il s’est interrompu, a pris deux ou trois clichés, puis il est retourné à sa tâche. Cet instantané est devenu pour moi une scène « iconique » de l’intimité familière des couples, la nudité en toute confiance. Dès lors, cette main d’un monstre imaginaire ne serait qu’une confrontation grotesque, une farce, si elle n’évoquait pas justement l’insécurité permanente des femmes, chez elles comme dans la rue. Aussi invraisemblable que s’avère l’identité du prédateur. 
Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Mise à prix. (miroir#5)

La déferlante antipub de l’automne 2003 a mis en exergue une évidence négligée : les femmes sont tout à la fois les principales cibles et les principaux vecteurs des affiches. Cet étiquetage sauvage découpe ce modèle à la façon dont on désignait les pièces de viande dans une boucherie, et attribue un prix à chaque sein et au sexe. Mais la femme continue de dormir, la tête posée sur un oreiller en apesanteur. Le publicitaire la veut ainsi, attirante et passive. Docile, elle est le personnage d’une histoire rabâchée, elle est spectacle.
Les graffitis ajoutés dénoncent la marchandisation du corps, mais dans quel but ? Qui est mis en cause par cette mise à prix : le modèle, l’annonceur, le client, le chaland ?

Paris, affiche(s), 18 novembre 2003.

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

« Marre » (miroir #4)

Que voyez-vous ? Une rébellion, sans équivoque. Le bras suffit à identifier une sportive. Il y a aussi cette biffure qui souligne le geste, et qui occulte en même temps un message marchand dont cette femme se libère. En bas de l’image, l’on devine une suite à cette déclaration. Mais, justement, « marre » de quoi ? Quelle marque, quelle cause ? Le cadrage pourrait être taxé de partisan, si ce qu’il défend ne restait pas flou, indéfini. Il ne dit pas tout. Il suggère l’amorce d’une histoire.
Tout est une question de lecture, de perception. La détermination de cette femme nous renvoie spontanément à sa condition. Rejette-t-elle l’annonceur qu’elle est censée servir ? S’affranchit-elle des rôles qu’on lui réserve ? Peut-être faut-il se contenter du message ressenti dès le premier abord : le poing dressé d’une femme qui en a marre. Tout est dit.

« Marre » Paris, affiche(s), 24 octobre 2003.

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

La gifle et la Mort (miroir #1)

La gifle et la Mort. Paris, affiche(s), 10 janvier 2024 © Jean-Claude Marguerite
La gifle et la Mort. Paris, affiche(s), 10 janvier 2024 © Jean-Claude Marguerite

Que voyez-vous ? Moi, j’ai vu le geste de cet homme, sa main tendue et son bras replié, en élan ou après le coup, et le visage renversé de cette femme, comme giflée. Puis, j’ai vu la Mort. La Mort révélée par cette déchirure qui divise la figure de l’homme, la Mort qui s’en détache comme la bave d’une idée sale. Et puis, il y a ce « e », la signature de la terminaison féminine, face à son regard, comme si son geste s’adressait bel et bien aux femmes. À toutes les femmes.
Que faut-il retenir de cette photographie ? Sinon que, dans les faits, sa construction n’est que coïncidences, ces trois éléments ne sont reliés que par le hasard. Il s’agit des restes de trois affiches différentes, superposées. Elles se sont succédé ; seul cet instantané les réunit. Sans ces déchirures qui les agrègent, ce que la dominante rouge semble légitimer, cette scène symbolique de la violence faite aux femmes n’existerait pas. 
Cette photo vient d’être prise dans un couloir du métro parisien. Des milliers de personnes passent devant, l’enregistrent sans s’en rendre compte, en retiennent consciemment ou inconsciemment quelque chose. Mais quoi ? Qui s’en préoccupe ? Qui s’arrête pour la considérer et en dégager un enseignement ?
Qu’aviez-vous vu ? Que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.
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