littérature et photographie

Étiquette : féminisme (Page 1 of 2)

Emprisonnée.

Paris, affiche(s), 7 septembre 2020.

J’ai vu une jeune femme s’abandonner à la danse, j’ai vu les barreaux de cette grille se refermer sur son rêve, j’ai vu l’enthousiasme des féministes contré par le principe de réalité.
Ce jour-là, je me rendais au Père-Lachaise, pour y photographier la représentation des femmes. Cette affiche m’a amené à penser que leur combat est perpétuel, sans véritable espoir de victoire définitive.
Les publicités touchent notre quotidien à la façon d’un décor récurrent (s’il a beau se renouveler, il professe toujours les mêmes valeurs). Le cimetière est un lieu de mémoire, l’art funéraire, une célébration qui véhicule une image stéréotypée des rôles. Dans les deux cas, nous n’y prêtons pas garde, tout nous paraît si familier. La représentation ordinaire des femmes nous emprisonne tous dans une vision sexiste.

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Hasard du calendrier, la revue L’Œil de la photographie (et The Eye of photography) vient de publier un portfolio sur l’autre volet de mon travail sur le sexisme, L’art funéraire eu Père-Lachaise.

Nues.

Paris, affiche(s), 20 octobre 2009.

Deux femmes aux francs regards, l’une couchée et l’autre debout. On ne distingue aucun vêtement, on aperçoit la main d’une troisième en masque de ses seins. La déchirure évoque la révélation de ce que l’on s’attend à voir de celle qui se tient droite. Ses yeux clairs se sont rivés sur nous, en défi ou en invitation.
Pourtant, ce qui nous est dévoilé de celle qui est allongée ne suggère aucune complicité, nous ne trouvons pas davantage de signes de crainte. La pudeur du geste n’atténue pas l’état de nudité, il le souligne, c’est un fait assumé. Une façon de dire aux hommes : « Je sais que tu me vois telle que mon corps est fait, soit ! Cela ne te donne aucun droit. » Ah, oui. On reconnaît une actrice. C’est-à-dire une de ces femmes que l’on a déjà peut-être vue dévêtue dans un film. « C’était un rôle, cela ne te donne pas davantage de droits. »

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

« Lætitia casse-toi. »

Paris, affiche(s), 16 décembre 2003.

Jean-Paul Goude a mis en scène Lætitia Casta pour tout un enchaînement de campagnes d’affichages en pleine tourmente antipub. Ces images ont suscité un déferlement haineux contre Lætitia Casta. Pourquoi elle, nommément ? 
La régularité de ces campagnes en faisait une sorte de rendez-vous. Il se formait une familiarité avec ce modèle que l’on retrouvait au même endroit, semaine après semaine. C’était un peu comme lorsque l’on croise chaque jour quelqu’un dans le métro, on finit par se reconnaître, l’idée d’une certaine connivence se crée. Et des fantasmes peuvent s’ancrer et s’animer sur ce visage, cette silhouette. 
Aussi, ce rejet dépasse la confusion entre l’identité de la personne ayant posé et le personnage qu’elle interprète, ce rejet dénonce la douleur issue d’un désir refoulé, il est l’écho d’un cri d’autocensure.  

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

L’olisbos (miroir #12)

Paris, affiche(s), 3 mars 2020.

En plein #MeToo, la dark romance est devenu le principal genre littéraire apprécié par un public féminin. Et le porno n’est pas qu’une affaire masculine. De quoi susciter des questions chez les féministes qui s’y risquent, et fourbir des arguments grossiers aux sexistes. C’est omettre l’importance cruciale de l’imagination comme du jeu. Il s’agit là d’envisager ou d’endosser sciemment un rôle et de participer librement à une mise en scène où l’improvisation se nourrit de modèles fantasmés. Et cela s’arrête là. À chacun sa sexualité, à personne de l’imposer.
Le sexisme se fonde sur le contraire, une sorte de « Je veux, je prends » de la prime enfance. Qu’il soit question de sexe, de propriété ou de croyance, quelle que soit la sophistication de ses méthodes et de ses discours, ce narcissisme relève de l’enfant sauvage devenu grand. Le développement de la conscience de l’autre comme des conséquences de ses actes s’est interrompu avant terme. Mais, n’est-ce pas la notion de morale qui définit notre degré de civilisation ?

Et vous, que voyez-vous?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Comment osent-ils ? (miroir #11)

Paris, affiche(s), 20 mars 2011.

La vulgarité de certaines campagnes nous rappelle à la réalité crue. Le monde gentiment glamour que nous racontent les affiches n’a pas d’autre prétention que de nous amener à acheter un produit, à adhérer à une idée, à nous conformer à un style de vie. La mise en scène publicitaire n’est qu’un enrobage, seule l’intention de l’annonceur compte.
Avec pragmatisme, on rétorquera que les communicants se contentent d’exploiter les stéréotypes de notre société, que le procédé est de bonne guerre. Mais, leurs messages justifient et enracinent ces idées reçues, ils ne sont pas neutres. Avec pertinence, on rétorquera encore que l’économie n’est pas la morale, et que, de ce fait, elle n’a qu’une valeur et aucune vertu. « Ça me profite, peu importent les conséquences » fait étrangement écho au raisonnement sexiste : « Je veux, je prends. »

Et vous, que voyez-vous?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Le lion et sa Vénus (miroir #10)

Paris, affiche(s), 22 septembre 2019.

J’ai vu la vulve caricaturale, démesurée, ancrée sur le pubis de cette Vénus de musée au corps diaphane. J’ai vu le lion farouche qui veille à ce qu’aucun autre ne s’en approche. Je n’ai vu qu’ensuite la main qui soutient les déchirures qui mettent à nu trois ou quatre générations d’affiches, comme pour amener le regard à se concentrer sur le ventre anonyme. Puis, qui le dirigent sur la bête vers laquelle converge la longue chevelure.
L’allégorie initiale du tableau se trouve donc réduite à une notion d’appartenance, et résume l’enjeu de celle-ci au sexe de la femme. Ces altérations, voulues ou non, semblent nous dire que l’art ne nous émancipe pas des stéréotypes.

Et vous, que voyez-vous?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Elle n’a rien à dire. (miroir #8)

Paris, affiche(s), 18 décembre 2007.

Quels graffitis la perfection artificielle de ce modèle a-t-elle provoqués ? Ces slogans maudissaient-ils la publicité en général, accusaient-ils de dépravation la femme ayant posé, profitaient-ils du climat ambiant pour oser une blague potache? Je l’ignore. La censure est passée par là. Elle n’a pas noirci du texte, elle l’a blanchi. Et ce que ces bandeaux immaculés sous ces lèvres carmin nous disent alors, c’est que cette femme est réduite au silence. Sa fonction est de se montrer, grimée en poupée improbable aux épaules nues et à la peau lissée, et de se taire. De ne pas parler d’elle. De ne rien laisser percevoir de qui elle est, de ce qu’elle pense, éprouve, espère, regrette, subit.

Et vous, que voyez-vous ?

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Funambules. (miroir #6)

Paris, affiche(s), 7 janvier 2024.

Malgré la déchirure centrale, les dégradés de bleus se répondent en miroir. La teinte et la lumière sont celles d’un songe nocturne. En haut, cette femme n’est pas seule, quelqu’un la précède, quelqu’un la suit. C’est un défilé d’automates aux yeux effacés. Où vont-ils ? Vers quoi se dirigent-ils ou elles ou iels ? Est-ce une scène extraite d’un film d’horreur ? En bas, de cet homme, on ne sait que la main ballante, les jambes en appui, ainsi que l’entrejambe habilement éclairé. Alors, rêve ou réalité ?
Peut-être parce que cette femme demeure vêtue, cette vision ne suggère pas un fantasme érotique. Les ingrédients du sexisme sont pourtant réunis, la répartition des rôles si bien établie que cet amalgame ne choque personne.

Chaque dimanche, une photographie commentée du miroir subliminal du métro parisien.

Miroir #Spécial Saint-Valentin 2024

Couple mythique. Paris, affiches (s), 18 avril 2004.

Miroir Spécial Saint-Valentin 2024.
C’était un coup de chance. Ces deux affiches de films réunissaient, il y a vingt ans, un couple « mythique », Nicole Kidman et Tom Cruise, alors qu’ils n’étaient plus un couple dans la vie. C’est une image que j’aurais aimé publier sans commentaire. Mais, aujourd’hui, le milieu du cinéma, censé nous faire rêver, a de quoi nous faire déchanter.
Les abus de pouvoir sur les actrices (mais aussi les acteurs), mineures ou non, de la part de réalisateurs, d’acteurs, de producteurs que l’on aimait jusque-là, ou que simplement l’on respectait, se dénoncent à la pelle – tandis que des plates-formes de streaming abreuvent les jeunes de séries où la femme se soumet aux caprices pervers bellâtres. Il est vrai que l’industrie du divertissement, qui se fait appeler cinéma, est une industrie, avec ses exigences économiques. Et tant pis pour les dommages collatéraux.
Et la Saint-Valentin obéit aux mêmes exigences.

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