À mon arrivée à Paris, j’avais été marqué par des affiches de Rolland Barthes qui tapissaient un couloir de la station Réaumur-Sébastopol. Les yeux, et seulement eux, avaient été barbouillés de façon très méthodique et similaire; cependant, aucun portrait ne ressemblait à l’autre. Je m’étais promis de tous les photographier, mais j’ai trop tardé. Je ne les ai pas oubliées.
Vers 2000, j’ai repris ce projet, mais je me suis confronté à une contrainte technique : l’éclairage. La lumière des métros est faible et de sources très différentes (la température des couleurs varie d’un couloir à l’autre, voire sur une même affiche), obligeant à des temps de pose très longs (incompatibles avec les bousculades des Parisiens empressés) et appelant des filtres correcteurs (eux-mêmes gourmands en lumière). Bien que mon Leica d’alors m’autorisait à descendre à des vitesses lentes, les résultats furent décevants.

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En octobre 2003, j’ai essayé le numérique. Le premier avantage était sa gestion de la balance des blancs (essentiellement en postproduction), qui évitait le recours aux filtres ; son deuxième était sa sensibilité variable ; la troisième, la possibilité de multiplier les vues. Conquis, je me suis engouffré dans ce sujet, alors que, coup de chance, faisait rage une campagne antipub qui occasionnait bien des altérations…

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N’habitant plus Paris, je me suis obligé à y venir une ou deux fois par semaine, errant dans les couloirs en traquant paysages imaginaires et créatures oniriques (et autres improbables rencontres) qui hantent le réseau métropolitain. Beaux dimanches.

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Il y avait d’ailleurs quelque chose d’étonnant à photographier ces figurations involontaires : car aucun de ces paysages ou de ces créatures n’existe… J’étais alors en pleine écriture du Vaisseau ardent, et ces morceaux choisis d’affiches constituaient mon « autre côté des choses », en écho à mon personnage principal, Anton.
Mais cette approche n’est-elle pas la raison d’être de la photographie : donner aussi à voir autre chose que ce qu’elle montre?
Même en reportage, les choix du moment et de la composition transforment le témoignage (voilà ce qui c’est passé) en une incitation à imaginer (mais voilà ce que, moi, j’ai vu — et vous, que voyez-vous?).

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C’est pourquoi il m’a semblé important d’explorer notre quotidien dans ce qu’il a de plus ordinaire. Or, quoi de plus banal, au sens où nous ne les remarquons plus consciemment, que ces affiches qui inondent nos journées. Les publicitaires comptent sur cette influence discrète et l’exploitent à l’envi. Mais que deviennent ces messages quand déchirures et maquillages dévoilent ce que j’ai appelé, le temps d’une exposition, un Continent éphémère ?

Aucune de ces photographies n’a été mise en scène, recadrée ou retouchée.

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N’étant que de plus en plus rarement parisien, mes dernières incursions dans le métro me conduisent au Père-Lachaise pour mon travail sur l’image des femmes. D’ailleurs, j’ai réalisé ce cliché à la station Père-Lachaise. L’absence de couleurs m’a incité à revisiter mes archives pour ressortir les clichés du métro partageant ce regard sur les femmes, leur passage en noir et blanc révélant ce que les couleurs publicitaires masquaient.


Cette section est, pour le moins, incomplète. À l’image de la construction du métro, il me reste de nombreuses galeries à étayer pour permettre de voyager de l’une à l’autre des thématiques qui ressortent de ces années de reportage sous terre… et dont, très irrégulièrement, j’ai rendu compte sur mon blog.

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En attendant ce déploiement, voici une première galerie, issue de l’exposition « Ceci n’est pas un tableau »…

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