Que deviennent les publicités, après quelque temps ? Dans les couloirs du métro parisien, nous les côtoyons quotidiennement. Elles vieillissent, se ternissent, sont vandalisées ou un ruissellement les dénaturent. Parfois, elles se décollent et offrent de singulières juxtapositions avec de plus anciennes réclames. Si elles existent toujours, si nous les apercevons encore, leur message n’est plus le même. Il n’a pas totalement disparu, mais cette altération, accidentelle ou volontaire, en modifie le sens. Que voyons-nous alors, de manière évidente ou subliminale ?

Ces morceaux choisis d’affiches ne nous imposent plus ce que les publicitaires souhaitaient nous amener à conclure. Pas davantage ils ne traduisent exactement ce que leurs détracteurs entendaient signifier. Ils sont devenus des miroirs de nos propres associations d’idées. En cela, ils nous parlent de nous. Ces presque deux décennies de photographie forment un reflet de notre société.  

Notamment notre regard sur la représentation des femmes. Pourquoi ? Parce qu’elles sont tout à la fois cibles et vecteurs de ces campagnes. Il n’y a rien de neutre à les montrer ainsi ou à s’adresser à elles. Mais il faut aller plus loin, gratter le vernis des pubs pour exhumer la réalité de notre perception. Car c’est nous qui interprétons ce qui n’est plus tout à fait un message commercial, ce qui n’est plus autant contestation. Ce sont les fragments d’un miroir intérieur.

Deux visions des femmes s’en dégagent. L’une les idéalise, elle évoque la noblesse d’âme, la beauté, la complicité, l’indolence… L’autre s’avère beaucoup moins flatteuse, elle rapporte de manière quasi journalistique le mépris et la violence dont elles sont victimes – soumises, manipulées, utilisées, blessées, violées, mais aussi révoltées. Car elles se rebiffent, bien qu’enfermées dans ce placardage. 

Quand un séduisant mannequin alpague notre regard, intimement, mais plus pour nous vendre quoi que ce soit, juste pour nous dire « non », que faut-il penser? Ne devrions-nous pas nous arrêter et nous demander ce que nous faisons là? Dans quel monde nous tolérons de vivre sans dire « non » à notre tour? Sans même nous poser de questions? Pourquoi nous pressons-nous dans ces couloirs qui nous invitent constamment à dépenser, quitte à aliéner notre temps, à saper tout autre élan, à repousser toute autre vie possible?


J’ai entamé cette série sans idée préconçue, sa richesse fourmille de thèmes  : créatures fabuleuses, œuvres abstraites, répertoire de notre vision idéalisée du corps ou du bonheur… Afin que ces morceaux choisis restent ce que chacun aurait pu ressentir, j’ai décidé de ne jamais intervenir, sur place ou une fois l’image prise, excepté le passage en noir et blanc. À l’origine, dans ces publicités tout est calculé, notamment la sélection des couleurs qui vise à refouler notre esprit critique en nous baignant dans un monde artificiel. Cette conversion en assainit la lecture, elle en révèle l’essentiel.

J’ai pris cette photographie en me rendant au Père-Lachaise, pour une démarche photographique similaire. L’affiche était quasiment monochrome, la grille également. C’est cette rencontre qui m’a amené à revisiter mes archives selon cette perspective.

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