Si les tombes célèbres du Père-Lachaise attirent plus de trois millions de visiteurs tous les ans, je ne m’y suis rendu qu’une douzaine de fois pendant les deux années où j’ai vécu tout à côté, et sans m’attarder devant ces illustres sépultures. Je préférais déambuler dans ses nombreuses allées et m’y perdre, littéralement, comme les quartiers d’une vaste cité silencieuse. Et puis, très vite, le statuaire féminin m’a intrigué.
Les sculptures masculines accusent une étrange similitude, un manque navrant de subtilité. Quoique toujours glorieuses, les représentations de ces hommes, certainement tous quelque part admirables et si bien vêtus, se confondent ou s’estompent de nos mémoires ; tandis que celles des femmes, non. Plus variées, mais aussi plus volontiers dénudées, elles exposent un large registre d’émotions – pleurs, passion, force, sensualité, abnégation. Certes, parfois de manière convenue, mais par là même elles nous assènent un troublant témoignage du regard que générations après générations nous portons sur elles. Ainsi, ces figures de pierre touchent d’emblée à l’intemporel, alors que leurs homologues masculins s’évertuent à se situer dans leur époque, revendiquant le titre de marqueur de l’Histoire, et se laissent dévorer paradoxalement, sinon par l’oubli, par l’uniformité.
Alors que j’avais délaissé le métier depuis une quinzaine d’années, j’ai emporté de quoi photographier ce statuaire. Presque aussitôt, le format carré s’est imposé, peut-être en souvenir du Lubitel 2 de mes débuts. Peut-être en raison du viseur, comme si hisser un boîtier à l’œil me semblait inconvenant, qu’au contraire incliner la tête m’inciterait à prendre, respectueusement, toute la mesure du temps. J’ai acquis un 6×6, revendu ensuite.
Pas très adroit avec le système de chargement, limité par les douze poses par bobine, je me suis trouvé contraint à photographier avec lenteur, moi qui ne vibre que dans l’empressement du reporter. Mes sujets immobiles s’y prêtaient faussement – formes et matières s’animent avec la lumière, et changent selon l’heure et les nuages, le degré d’humidité et la saison ; le vent bouscule les ombres des branchages et façonne le ciel ; les passants passent ou ne s’y décident pas ; et encore quelques oiseaux et chats qui s’épient, se toisent, se pourchassent… Ainsi, est-ce bien le temps qui décide de tout.
Revue de presse :
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