J’ai expliqué dans le billet de mes résolutions 2015, Lire ne doit pas rester un privilège, l’indignation que j’éprouve devant les laisser pour compte de la lecture. Depuis deux ans, j’explore des outils destinés aux enfants qui ont du mal à lire ou qui n’aiment pas lire. En février, je rendais publique ma première ébauche, Trois contes, en lançant un appel à un test grandeur nature. Son écho, sa réussite, la pertinence des retours m’ont encouragé à aller plus loin, en fondant les éditions “tous lire”. Celles-ci se caractérisent par une approche où le texte et sa mise en page sont avancés simultanément, non seulement dans le but de faciliter la lecture, mais d’inciter à aimer lire – ce qui passe par l’émerveillement, par un véritable travail de création.

Inventer ou réécrire ?

Pas un instant je n’ai hésité entre proposer mes propres histoires et réécrire les contes de fées. Si j’ai opté pour leur réécriture, c’est parce que ces contes, pour la plupart issus d’une longue tradition orale, constituent la base de notre imaginaire littéraire. Hollywood s’en empare régulièrement, et les dénature. Tout le monde pense les connaître, mais rares sont ceux qui les ont réellement lus. Il faut dire que la langue est ancienne, qu’elle fait référence à des curiosités vieillottes, use d’un vocabulaire obsolète. D’ailleurs, dans les écoles où quelques contes sont encore au programme, leur analyse s’apparente souvent à de l’archéologie littéraire, au détriment de leur valeur intrinsèque. J’y ai vu une priorité. Ces “contes de fées” sont la porte des bibliothèques que je tiens à ouvrir à ces enfants.
Certains auteurs, et non des moindres, s’approprient ces contes pour les réécrire à leur manière. L’exercice est tentant, le résultat parfois plaisant. Là encore, mon approche est différente : j’ai obstinément cherché à rester  fidèle au récit. Encore qu’il y ait beaucoup à dire à ce propos : quelle version prendre en compte ? Veillant à préserver l’esprit des plus anciennes, j’ai opté pour la lettre de la plus répandue, celle qui se trouve inscrite aujourd’hui dans notre imaginaire collectif.

Repenser l’écriture

Il s’agit de déconstruire une histoire pour la reconstruire selon une chronologie linéaire, de faire des phrases simples et courtes, immédiatement compréhensibles, fluides, tout en tenant compte des fins de lignes qui l’emportent sur la phrase, comme du découpage en pages d’une petite dizaine de lignes correspondant à des pauses naturelles ou ménageant des effets de suspens. Les répétitions deviennent nécessaires, la ponctuation réduite à la portion congrue. Les mots difficiles doivent être expliqués par leur contexte, et être réemployés rapidement, plusieurs fois, pour favoriser leur acquisition…
Mes premiers essais relevaient d’une écriture technique, encadrée par une mise en pages contraignante réalisée conjointement, selon un protocole de plus en plus rigoureux. Nul enthousiasme, donc. Et puis, heureusement assez vite, le rythme s’est imposé, comme en poésie, et la plume s’est amusée.  Les premiers tests, ceux conduits dans un cercle privé, ont été un réel encouragement. Voir un enfant qui rechigne à lire réclamer un autre conte a de quoi vaincre toutes les réticences !
Encouragement qui s’est souvent avéré utile, tant les exigences des enfants en difficulté d’apprentissage de la lecture sont parfois déconcertantes, voire contradictoires. Ainsi,  une phrase aussi simple pour nous que « La maison de l’ogre est dans la forêt » deviendra pour un dyslexique : « L’ogre habite dans une maison qui est dans la forêt », tandis qu’en langage des signes on dirait : « Dans la forêt se trouve la maison où habite l’ogre. »

D’auteur à éditeur…

Si la littérature est ma passion, l’édition est mon métier (ou mes métiers : maquette, correction, réécriture, coordination, illustration). Or, depuis une vingtaine d’années que je vis des livres signés par d’autres, je me suis répété deux promesses : ne jamais devenir éditeur, ne jamais produire une critique.  L’indignation vient d’avoir raison de la première. À soixante ans et pour les enfants, c’est une chose que j’estime pouvoir me permettre sans l’ombre d’un regret. “tous lire” est une grande aventure

“tous lire”