Le village où je suis né ne porte plus son nom.
L’occasion de redécouvrir ce que je tenais pour familier.

Ombre et matières imbriquées. Avec ce ciel bleu et ces tons brûlés, je me crois dans le sud de la France.

Dans le cadre d’une bourse de création du Centre national du livre, je séjourne régulièrement dans la maison de mon enfance, où j’écris nuit et jour. En février 2019, je ne suis sorti que cinq fois, plutôt brièvement, cédant à la lumière avec un sentiment d’urgence. Un compact dans le creux de la main, j’ai renoué avec mon adolescence – exalté par les tonalités Kodachrome de la campagne normande, je dévorais alors les kilomètres à la recherche d’un sujet, sans songer à photographier mes rues. C’est en remédiant à cet « oubli » que les mots de T.S. Eliot ont pris tout leur sens ; ce village n’est plus autant le mien.

“And the end of all our exploring
will be to arrive where we started
and know the place for the first time.”

T.S. Eliot

Première sortie sur la place du marché, rebaptisée, réaménagée, aux façades rénovées.

Tuiles et pierres : ces teintes m’apaisent, elles définissent le mot “maison”. Sans disparaître, elles cèdent peu à peu la place aux crépis clairs – et je me sens de moins en moins chez moi.

Quelques maisons de briques et d’ardoises marquent la proximité du Pays d’Auge, mais elles sont reléguées dans des ruelles.

Modernité oblige : ardoise industrielle, béton peint, faux bois beige et perchoir métallique.

Ombres et flèches s’affrontent à l’entrée de cette place transformée en parking – la peinture s’effrite, elle peut être refaite, l’ombre ne cédera pas.

Un peu partout, la forme cubique s’impose, étrange écho du livre que j’écris, où l’obsession du cube s’érige en rituel religieux.

Cette fois, ces protubérances parallélépipédiques ne m’ont pas échappé.

Au détour d’un lotissement, cette haie-clôture, trop dense et taillée en rempart, victime d’un angle mort.

“Au-delà du fleuve et sous les arbres”… le titre de ce roman d’Ernest Hemingway résonne intimement en moi, peut-être parce que j’ai toujours aimé m’arrêter sur le pont pour contempler l’eau, les champs inondables et ce rideau d’arbres.

Jamais les gargouilles ne m’ont autant évoqué des dragons piégés par la pierre – ils se démènent, ouvrent leur gueule, mais ne peuvent que pleurer leur désespoir de ne plus voler.

Ces avions semblent bondir pour franchir la voie ferrée, sur laquelle je me place pour les regarder passer, qui bordait la route nationale, presque muette.

Commune déléguée de la commune d’Écouché- les-Vallées, mon village a vu son nom relégué au rang de lieux-dit dans une adresse postale. Je tirais une certaine fierté du jeu de mots phonétique, construit en référence à l’évasion d’un chevalier anglais pendant la guerre de Cent Ans, qui a couché une planche (ais) sur un fossé. Non sans humour, les armoiries présentent un É (capitale accentuée) couché (et non incliné).