Le pouvoir de la photographie réside dans la suggestion d’une histoire, l’initiation d’une réflexion. C’est le regard du spectateur qui est sollicité. L’aspect objectif, historique, ce fameux témoignage d’un moment passé, compte pour peu de chose sans les compléments d’une légende. Mais, nue, une photo interpelle notre sensibilité. Nos yeux s’y promènent, associent à leur manière des éléments qui la composent. Chaque image propose une foison d’interprétations, toutes uniques.
Bien sûr, le photographe a lui-même réagi à l’instant où ces éléments se sont assemblés de telle manière qu’il a dû déclencher. Son regard n’est pas impartial. Mais, il déclenche si souvent, et si peu de ses images perdurent! Ce qui fait son œuvre, c’est lorsqu’il touche à l’universel. Quand son cliché parle à tous, qu’il raconte une histoire sans parole, qu’il se fredonne.
Et au début, était l’œil…
J’ai commencé au lycée, presque par hasard. La photographie animalière m’attirait, mais la découverte des photos d’Henri Cartier-Bresson m’a convaincu de me consacrer au reportage social (Martine Franck, sa compagne, ainsi que Claude Dityvon et Richard Kalvar m’inviteront à les rejoindre au sein de l’agence Viva l’année de mes dix-neuf ans, projet qui ne s’est malheureusement pas réalisé). Au début, je photographiais des enfants, les fêtes, les manifestations, les paysans.

Étant devenu journaliste, et m’étant spécialisé dans le secteur du cheval, j’ai réalisé sur plusieurs années un reportage sur le quotidien du Haras du Pin, d’où une exposition (achat du Département de l’Orne; accompagnée d’un livret illustré) inaugurée dans les écuries du Haras du Pin, puis présentée au Club du Leica.
Interruption, reprise
En 2000, après quelques années presque sans photo, j’ai approfondi quelques sujets (le livre, les sans-abri, l’image des femmes au Père-Lachaise) avant de tourner mon objectif vers ces affiches publicitaires qui inondent notre quotidien. Mais seulement celles qui ont perdu leur identité publicitaire.
Pourquoi des affiches altérées ? Peut-être parce que leurs dégradations révèlent «l’autre côté des choses» cher à Anton, le héros de mon premier roman, Le Vaisseau ardent (Coup de cœur du Point en 2010).
Cette démarche, je l’ai peu à peu appliquée à d’autres sujets : le ciel, la rue, les façades, les ombres. De quoi pimenter mes moindres sorties.
Du moins, jusqu’à ce que cette démarche me fasse prendre conscience de l’hégémonie des sols artificiels et ravive ma sensibilité écologique.
En 2019, j’ai redécouvert mon village natal, après qu’il a changé de nom. Occasion d’une recherche des matières et des lumières qui ont modelé mon regard et mon imaginaire. Je me suis également intéressé aux éoliennes qui fleurissent alentour.
Mon approche sur le sexisme dans les affiches du métro parisien a ravivé l’envie de retourner au Père-Lachaise, près duquel j’ai vécu, pour explorer à travers l’image qu’il donne des femmes les échos des conventions sexistes de ces deux derniers siècles.
Pour qui est parvenu jusqu’au bas de cette page, j’ajouterais que mon regard doit beaucoup aux écrits sur l’art d’André Malraux. La notion de métamorphose, notamment, dont j’ai retenu que ce que nous admirons n’a pas été nécessairement conçu à cette fin (les icônes étaient peintes par des artisans, en acte de foi ; que retiendrions-nous d’une Vénus de Milo polychrome et dotée de ses deux bras ?). La notion de synchronicité de Jung (nous chargeons de sens ce qui est pure coïncidence) est venue compléter ma sensibilité. La rigueur du peintre naturaliste Robert Hainard, qui ne dessinait que ce qu’il voyait, même lorsqu’il illustrait un guide ornithologique, m’a également engagé à ne rien recadrer ni arranger.
Suis-je si différent lorsque j’écris ? L’imaginaire ne semble pas très sérieux, cette distance permet de dire beaucoup de choses essentielles dans les détails, sans en faire tout un discours. Pour qui se montre attentif, en lisant ou en regardant, il y a toujours plus à découvrir que ce qui est exposé – la force d’une image et d’un texte est tout entière dans cette invitation.
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